La jeunesse : coupable idéal ?
Jeudi 23 février, une manifestation de jeunes lycéens dégénère, et déclenche une avalanche de commentaires négatifs sur la jeunesse. Nous avons cherché à comprendre le phénomène et les raisons de toute cette escalade de violence, qui traine déjà depuis plus d’un an. Les carnavals nocturnes, l’état d’urgence, la loi travail, le 49-3… Et cette fois les manifestations de soutien à Théo pour dénoncer les violences policières. Des lycéens tétanisés et consternés par la couverture médiatique, révélant un malaise profond sur l’état de la société. Témoignages.
Le diagnostique est délicat. Beaucoup de phénomènes de société viennent s’entrechoquer, et le numérique rend le flux d’information très complexe à décrypter. Concernant cette journée du jeudi 23 février, l’équipe du Nouveau Montpellier était sur place pour assister à la manifestation. Un rassemblement banal pour dénoncer la violence policière au sujet de l’affaire Théo, jeune de 22 ans d’Aunlay-sous-bois. Quand on dit banal, on parle bien de la régularité et la récurrence de ces contestations sociales.
Des commentaires violents qui stigmatisent la jeunesse
C’est un véritable défouloir de haine contre les jeunes jeudi qui a interpellé beaucoup d’internautes. C’est le cas de Cédric, jeune entrepreneur de 28 ans qui observe les événements de l’extérieur avec du recul : “je ne comprends pas pourquoi on en fait autant ! C’est la même forme de manifestation que celle des agriculteurs.” Déçu du sort qui est réservé à “des jeunes qui essayent de défendre une cause”, il ne comprend pas l’emballement médiatique sur cette journée de jeudi, concernant une cause qui n’est pas défendue uniquement par les lycéens. Il est vrai que plusieurs rassemblements en soutien à Théo avaient eu lieu samedi 18 février, comme en atteste cette mobilisation de la LDH (Ligue des Droits de l’Homme).
#Rassemblement d’une centaine de personnes devant la préfecture de #Montpellier organisé par la #LDH en soutien à #Théo #aulnaysousbois pic.twitter.com/g7pTgKuCxe
— LeNouveauMontpellier (@LeNouveauMtp) 18 février 2017
“Il n’y en a aucun qui réfléchi vraiment à la cause de ces mouvements. Quand c’est des étudiants, on dit que c’est une émeute et ça devient tout de suite des casseurs, des branleurs, qui ne savent même pas pourquoi ils manifestent” insiste Cédric, qui dénonce la violence des propos tenus sur les réseaux sociaux. Cependant, parmi les témoignages recueillis personne n’a oublié de mentionner que certains manifestent pour sécher les cours. C’est une réalité, une partie des lycéens l’assume, mais il y a tout de même une raison à cette volonté de se faire entendre.
Plus de blessés du côté des mineurs
Des témoins de la scène et les équipes du Nouveau Montpellier sur place ont constaté quelques provocations de part et d’autres entre policiers et manifestants. Un “jeu” du chat et la souris, qui se termine mal et impacte ces jeunes contestataires. Daniel, jeune lycéen de Clémenceau est choqué par l’absence de bilan sur les blessés du côté des jeunes. “Pourquoi on ne parle pas des blessés chez les jeunes ? On ne parle que d’un policier blessé ?“. Il indique même que les chiffres sont douteux sur le nombre de personnes mobilisées. “Ils ont dit combien ? 300 personnes ? On était 3 fois plus nombreux au moment du rassemblement entre les trois lycées…”
Nous sommes allés directement au lycée Mermoz pour le vérifier. Et entre 5 et 10 blessés sont à signaler du côté des lycéens. L’information publiée dans certains médias est donc fausse et ne reflète pas la réalité. “Je me demande si on peut avoir confiance en ce genre de médias parce qu’en relayant des choses comme ça, on passe pour les méchants. Beaucoup d’amalgames se font entre les manifestants et les particuliers mais c’est pas nouveau…” raconte Daniel au sujet de la confusion de l‘article du 20Minutes en question qui utilise la source de nos équipes sur place juste avant d’évoquer le bilan des blessés. Mais aussi France Bleu Hérault et Métropolitain ont annoncé “aucun blessé”.
Mais plus grave encore, c’est la situation de ce jeune venu en sang au lycée vendredi, avec la boule au ventre de peur d’être jugé par ses parents. “Je ne veux pas que mes parents sachent que j’étais à la manifestation. Je ne veux pas les inquiéter plus” témoigne t-il, blessé au visage dû à un projectile reçu en pleine tête. Pareil pour les autres, qui ne souhaitent pas porter plainte pour ne pas aggraver la situation, qui est déjà assez lourde pour des adolescents de 15-16-17 ans.
On entendait des réflexions du genre “maintenant on fait quoi ?” en lançant des insultes comme “sale bougn***e”, “sales petits merdeux.”
Daniel raconte même une scène hallucinante après les jets de gaz lacrymogènes : “ils nous ont bloqués dans les petites rues entre Clémenceau et Saint-Denis. On ne comprenait pas trop ce qu’il se passait et on entendait des réflexions du genre “maintenant on fait quoi ?” en lançant des insultes comme “sale bougn***e”, “sales petits merdeux”. Et il n’est pas le seul à constater cette violence verbale, Sabrina 15 ans, est au lycée Mermoz. Elle confirme avoir entendu des remarques très méprisantes comme “vous ne servez à rien”, “vous n’êtes que des petits cons” ou “vous êtes des petits branleurs”. Elle précise que c’est dur de savoir précisément qui a prononcé ces mots, “il y avait des mouvements de foule et on a retrouvé un camarade qui pissait le sang. Il s’était pris un coup de matraque sur le tête” avant de poursuivre “c‘est comme s’il voulait lâcher leur nerf sur nous” en parlant d’une partie des CRS. “Il ne faut pas dire que c’est tous des pourris, mais quand on entend ce genre de propos on ne peut qu’être choqué” témoigne cette jeune lycéenne terrifiée par la tournure des choses et des réactions sur les réseaux sociaux. Très lucide sur la situation globale malgré leur jeune âge, ces deux lycéens provenant de deux lycées différents indiquent être remontés et que ces scènes violentes ne font que confirmer leur position. Ils étaient venus pour manifester en soutien à Théo et contre les violences policières, le prochain mouvement sera peut être pour une autre cause.
D’autres témoignages recueillis au lycée Mermoz indiquaient même que les policiers sortaient des buissons et habillés en civil pour surprendre les petits groupes qui commençaient à déambuler proche du lycée. “Notre organisation était brouillonne c’est clair, mais on va réussir à se faire comprendre et c’est ce qu’on cherche“.
La flemme d’aller en cours ?
Pour expliquer ce rassemblement qui s’est envenimé, énormément d’internautes insistent sur la volonté des jeunes à sécher les cours. Ce n’est pas ce que déclarent les manifestants et Daniel est très clair aussi la dessus : “les gens ont tendance à mettre l’accent sur la casse, plutôt que sur la manifestation en elle même et son but“. Un sentiment confirmé par Sabrina : “Les gens disent qu’on est des petits cons alors que beaucoup n’avaient rien fait de spécial“. Interrogée sur les raisons des blocus et des manifestations lycéennes durant la semaine, elle évoque “un manque de disponibilité des uns et des autres en période de vacances scolaires.” Les moments de cours, c’est des moments où “tout le monde se retrouve et discute, alors qu’en vacance chacun est dans son coin. D’autres travaillent et ne sont pas disponibles” déclare t-elle pour justifier l’absence des lycéens lors des manifestations en soutien à Théo qui ont lieu régulièrement le samedi.
La plupart des personnes étaient là pour protester contre les bavures policières. Il faut le dire, les jeunes ont des problèmes avec ça. C’est une réalité.
C’est surtout une profonde inquiétude que témoigne Sabrina suite aux nombreuses manifestations. “Nous, on est la génération de demain et on va vivre dans ce monde là. On ne peut pas laisser passer ce genre de chose. Ça va être quoi dans 10 ans si on laisse faire ça ?” en évoquant la bavure policière concernant le jeune Théo. Un point de vue tenu aussi par Daniel, “la plupart des personnes étaient là pour protester contre les bavures policières. Il faut le dire, les jeunes ont des problèmes avec ça. C’est une réalité.”
Conscients que tout n’était pas parfait durant cette manifestation sauvage où de jeunes casseurs s’en sont pris à des passants et à des lycéens au sein du cortège, ils tiennent malgré tout à souligner l’utilisation disproportionnée de la force des services de police à leur égard. Sabrina abonde dans ce sens “vous voulez qu’on dise quoi, quand à longueur de temps, la plupart abusent de leur pouvoir… Et c’est ça qu’on n’aime pas“. Avant de poursuivre très émue “ça me fait peur… Très clairement, je me demande ce que ça va donner. Si aujourd’hui on en arrive là, avec tous ces commentaires sur les réseaux sociaux en disant qu’on devrait se faire taper. Si on se tait, on fonce droit dans un mur. Il faut qu’on ouvre nos bouches.”
Relation média/jeune : le fossé se creuse
Une balle dans le pied! @bleuherault @francebleu @Midilibre @F3Languedoc @Gazette2Montpel @TVSud pic.twitter.com/Y5F68DyiAr
— Vincent Rodriguez (@rodriguezvince) 23 février 2017
Durant la matinée, une journaliste de France Bleu Hérault a été agressée alors qu’elle souhaitait réaliser des interviews. Plusieurs jeunes manifestants l’ont bousculée et molestée, alors qu’elle essayait de donner la parole aux manifestants. Rien n’excuse ce geste, que condamne Sabrina “pour ce coup là, on a merdé parce qu’on cherche à se faire comprendre. Si j’avais été présente, j’aurais pris la défense de cette dame... Surtout que c’est une femme“. Dans les faits, il est vrai que les manifestants ne sont pas très ouverts pour parler aux médias en général et il existe une forme de méfiance envers les journalistes présents sur le terrain. Daniel, qui a vu une partie de la scène, précise que l’altercation avec la journaliste est aussi encouragée par les mouvements de foule et la confusion au moment de l’interview : “il y avait du monde autour. Tout le monde voulait venir placer un mot au micro et des jeunes sont venus la chahuter et faire n’importe quoi. Encore une fois, il y avait un effet de foule“.
Ce n’est pas comme ça qu’on va réussir à se faire comprendre
Du côté de la journaliste qui a été agressée, nous avons contacté la rédaction de France Bleu Hérault pour en savoir plus. Tout va bien, il n’y a pas de blessure grave qui justifie un arrêt maladie. Cependant, des coups ont été donnés et une plainte a été déposée vendredi matin comme indiqué dans le communiqué afin de condamner les faits de violence, qui nuisent à la démocratie et à la qualité de l’information. Un positionnement que la jeune manifestante conçoit, “ce n’est pas comme ça qu’on va réussir à se faire comprendre“. Toujours est-il que le corps médiatique n’est pas totalement épargné par les observateurs, comme cette enseignante en BTS, Pauline, qui affirme que “le traitement médiatique qui est fait sur ce type d’actualité est très partial. C’est souvent comme ça...”. Pour illustrer son propos, elle explique comment les journalistes sélectionnent leurs photos pour faire les gros titres, comme des poubelles en feu ou des voitures brûlées, qui accentuent l’agressivité de la population. Elle n’oublie pas aussi de souligner la provocation de certains jeunes depuis les blocages de lundi, qu’elle a vu lancer des projectiles sur les forces de l’ordre. “Les progrès sont à faire des deux côtés, mais ce qui est certain, c’est que l’expression passe de plus en plus par la violence. Le 49-3 est aussi une forme de violence.” Avant de conclure “sur le grave dysfonctionnement dans l’ascenseur social pour les jeunes.” Un constat que l’enseignante dresse de part son expérience de 10 ans dans l’enseignement, qui n’arrange pas les tensions.
On vous propose trois articles sur l’affaire Théo -qui n’est pas le sujet de l’article- et les mouvements sociaux que cette affaire a déclenché. Un article publié par Union Urbaine sur les mouvements de soutien à Théo, un article du JDD qui évoque des manifestations similaires qui se sont déroulées à Paris et un article publié dans Le Point avec le témoignage de Théo et le rapport de l’IGPN basé sur la vidéosurveillance.
Simon Botteau & Fessoil Abdou