Based MTP invite les nouveaux talents du rap belge
Si on vous parle de la Belgique, vous pensez forcément à de bonnes frites bien grasses, des pintes de bières à profusion, aux Diables rouges et à leur football de qualité. Ce ne sont pourtant pas les uniques compétences du plat pays, et vous devez savoir pourquoi. Gouverné d’une main de fer par la belle Bruxelles, la scène rap belge vit aujourd’hui en plein âge d’or avec l’arrivée d’une nouvelle vague d’artistes bien décidés à marquer l’histoire de leur empreinte. Caballero, Jean-Jass, Roméo Elvis, et Le Motel, Quatre de ses représentants prenaient d’assaut le RockStore jeudi 27 avril dernier pour une Bruxelles Arrive mémorable organisée par le collectif Based MTP. On y était, on vous raconte.
Avec une actualité politique inquiétante suscitant colère et incertitude, une situation chaotique dans certains pays, la montée des extrêmes sur une grande partie de la surface du globe, sans parler des partiels pour les jeunes montpelliérains, ce printemps 2017 aurait pu être résumé à des notes de piano lancinantes couplées à la voix déchirante de la britannique Adèle nous parlant du chaos. C’était sans compter sur l’énergie toujours plus forte déployée par les acteurs de la culture et de la musique en France ou d’ailleurs, pour nous permettre de rester plus ou moins positifs. Ainsi dans notre belle ville ensoleillée, le collectif Based MTP explore la beauté de la culture hip-hop actuelle. Déjà à l’œuvre derrière la Golden Era, le collectif n’est jamais avare en bonnes surprises. Après avoir convié le très chaud Chris Travis pour un concert d’anthologie à l’Antirouille et avant la venue de l’étoile montante Josman le 24 mai prochain, c’est du côté de la Belgique que les organisateurs avaient choisi de se tourner le 27 avril dernier sur la scène mythique du RockStore.
Il faut dire que le plat pays est devenu le repaire des nouvelles pépites du rap francophone : Damso, Hamza, La Smala, Krisy, ou Shay pour les plus populaires d’entre eux. Si chacun d’entre eux se démarque en enrichissant le genre par des innovations musicales rapidement addictives, ils se rejoignent tous sur un point spécifique lorsqu’il s’agit de soulever les foules. Les très créatifs Romeo Elvis, Le Motel, Caballero, et Jean-Jass n’ont pas dérogé à la règle pour cette Bruxelles Arrive sold-out, qui présentait l’effervescence de la nouvelle vague rap bruxelloise.
Roméo Elvis & Le Motel, un univers affranchi de toutes frontières pour un combo gagnant
Arrivé in extremis pour le début des festivités, les premières notes de Diable commencent déjà à faire bouger les nuques d’un public déjà bien nombreux pour le concert du prometteur Romeo Elvis, devant lequel on croise aussi bien des lycéens que des trentenaires. Pour les non-initiés, le jeune MC de 23 ans commence sérieusement à faire parler de lui depuis la sortie du featuring Bruxelles Arrive avec ses potes Caballero & Jean-Jass. C’est d’ailleurs après le succès de ce titre que l’idée d’une tournée commune du même nom naquit dans l’esprit de ces protagonistes.
Originaire de Uccle, Romeo Van Laeken n’en était pourtant pas à ses premières armes, loin de là. Petit dernier d’une famille artistique, il s’intéresse très tôt à la culture hip-hop lorsque enfant, il rencontre le grand MC Solaar, très bon ami de son père chanteur. Plus tard, il rencontre les membres du groupe L’Or du Commun avec lesquels il se lie d’amitié et effectue ses premières expériences scéniques et en studio.
En résulte la publication de son premier EP, Bruxelles c’est devenu la jungle, en 2013. Vivre de la musique étant un choix de vie souvent rempli de galères et de labeur pour un grand nombre d’artistes, c’est en 2016 que son travail commence à porter ses fruits. Pour la sortie de son troisième EP intitulé La Morale, il choisit de s’allier au beatmaker Le Motel dont il est déjà proche car également acteur de cette percée belge qui paraît inarrêtable. Ce dernier devient alors son acolyte de tournée et signe l’intégralité des productions de La Morale 2 devant le succès grandissant de leur duo.
Prose tantôt légère et amère pour l’un, productions hyper léchées pour l’autre, les deux jeunes artistes ont créé leur recette dont le public montpelliérain ne semble plus pouvoir se passer au vu de l’agitation croissante qui anime la foule tout au long de la setlist. En parfaite adéquation avec les beats dont seul Le Motel a le secret et épaulé par les backs de son pote Swing Siméon du groupe l’Or du Commun, Roméo Elvis est sur scène comme chez lui et sait comment chauffer la salle dans laquelle il est maintenant difficile de se déplacer. Visiblement très heureux de jouer dans le sud de la France devant un public déjà dévoué à sa cause, le jeune belge alterne rap et phrasé chanté de sa voix rocailleuse. Égrenant des titres issus de ses deux derniers EP, il nous ouvre les portes de son univers bigarré entre humour, anecdotes personnelles et égo-trip, en parvenant à instaurer une ambiance différente pour chacun des titres.
Derrière ses platines, Le Motel impressionne par sa capacité à passer d’un style à un autre, à superposer une multitude d’influences provenant d’horizons différents pour se rapprocher au final de ce qui se fait de mieux aujourd’hui en matière de beatmaking : hip-hop, trap, jazz, électro, tout y passe. On pense notamment à la production du titre Diable qui mêle avec brio rythmiques tropicales, influences boom bap J Dill-iennes et électro à la frontière de la trap. Comme annoncé par les organisateurs et l’affiche de la tournée, Romeo Elvis & Le Motel sont un duo et le producteur prend un malin plaisir à balancer quelques productions courtes mais frénétiques orientées Bass Music entre deux titres. S’il peut surprendre à la première écoute, le très mélodique Drôle de question avec ses accords de guitare acoustique et ses choeurs groovy , le tout mené par la voix soul chantée en live du MC, constituent un des autres moments forts du concert. Arpentant la scène de sa silhouette longiligne, multipliant les déclarations chaleureuses et jouant d’une attitude loufoque, il n’hésite pas à faire participer le public qui lui obéit même quand il s’agit de se baisser, fait tomber le t-shirt, saute dans tous les sens et passe peu à peu du côté sauvage de la scène avant d’amorcer la fin du show avec son interprétation solo de Bruxelles Arrive.
Il atteint ensuite l’apothéose sur le sombre et percutant Tu vas glisser dont la production gonflée à bloc ne peut laisser personne indifférent. C’est d’ailleurs sur ce morceau que les pogos resteront les plus violents de la soirée. Aujourd’hui à l’aube de conquérir les scènes estivales des plus grands festivals européens dont le mastodonte Dour, les deux potes risquent de faire parler d’eux pendant encore un bon moment, pour notre plus grand plaisir.
Caballero & Jean-Jass, nouvelles têtes d’affiche du rap belge
Après une courte entracte, la foule est désormais plus que compacte et prête à accueillir les deux lascars du duo Caballero & Jean-Jass et leur univers explosif. Né à Barcelone mais très tôt arrivé en Belgique, Caballero de son vrai nom Arthur Caballero a déjà une longue carrière solo derrière lui. Membre des groupes belges Black Syndicat, Les Corbeaux et proche de La Smala, celui que l’on pourrait qualifier d’Action Bronson du rap belge de par son physique enrobé et son flow gentiment caustique et sans prises de têtes, commence à élargir son public dès 2013.
Sur son premier projet Laisse nous faire! Vol.1, il collabore avec le MC français Lomepal et le producteur Hologram Lo’ (Nekfeu, 1995, Alpha Wann..). Après s’être positionné comme l’un des nombreux espoirs du rap francophone post 2010, il rencontre Jean-Jass qu’il sollicite pour produire une grande partie de son projet Le pont de la reine paru en 2014. Cette fructueuse collaboration donnera naissance en 2016 à leur premier projet commun entièrement auto-produit Double Hélice.
À la fois MC et beatmaker, Jean-Jass n’a rien à envier à son acolyte à la barbe proéminente. Originaire de Charleroi, il est l’un des membres fondateurs du collectif Exodarap depuis 2007. Ami de longue date avec le MC/beatmaker bruxellois Le Seize, les deux artistes multiplient les collaborations et réalisent en 2014 l’EP commun éponyme Jean Seize qui rencontre un franc succès en Belgique. Malgré un talent indéniable, il devra pourtant attendre 2016 et Double Hélice pour atteindre les oreilles du public français.
Fort d’un succès grandissant en Europe et face à l’explosion des outils de communication numérique permettant aux artistes une exposition plus simple et rapide, Caballero & Jean-Jass étaient attendus sur la scène du RockStore pour leur premier concert montpelliérain en têtes d’affiches (Caba’ accompagnait Alpha Wann lors de sa dernière tournée) et avant la parution de Double Hélice 2 le 12 mai. Entrant sur scène sur les premières notes du banger Verygolo, les deux belges sont là pour créer un beau bordel et annoncent la couleur d’un show épique.
Très à l’aise et très communicatifs de par leurs nombreuses expériences scéniques, le duo n’hésite pas à prendre des pauses entre les morceaux pour se livrer à des concours de punchlines, parfois même sur le physique de l’un ou de l’autre, créant l’hilarité dans le public. On a même parfois l’impression d’assister à un véritable stand-up, ce qui n’enlève rien à leur talent musical, au contraire. Maîtres dans l’art de varier les registres, les deux acolytes font part de leur amour pour la weed (qu’ils développent d’ailleurs actuellement dans la web-série High & Fines Herbes) à travers plusieurs allusions et s’amusent de l’utilisation trop fréquente de l’égo-trip par certains rappeurs sur le puissant Merci Beaucoup que la foule reprend à l’unisson, comme sur la plupart des titres joués. Si on peut les percevoir en apparence comme des artistes constamment tournés vers l’humour, ils savent se faire plus sérieux comme sur le cynique Pharaon Blanc et ses allusions récurrentes à la « course à l’argent » et à l’avidité présente aujourd’hui dans le monde entier. On se laisse porter par leur énergie communicative et on constate que le show proposé sur scène est une réelle alchimie de groupe.
Les deux MC jouent continuellement au jeu de qui sera le plus impressionnant lyricalement et chacun apporte en fait sa touche personnelle, l’un très à l’aise avec le rap pur et la rapidité (Caballero), l’autre proposant une touche plus mélodique (Jean-Jass). Une vraie complémentarité donc. On n’aurait d’ailleurs pas été surpris de voir Jean-Jass également à l’œuvre derrière les platines pour cette tournée commune, mais c’est leur pote Eskondo qui fut chargé ce soir là de balancer sa dose de kicks et de basses.
Entre boom bap à l’ancienne d’une efficacité redoutable et productions plus modernes lorgnant ingénieusement du côté de la trap, le rythme est soutenu. C’est d’ailleurs leurs titres aux sonorités les plus modernes (On est haut, Sur mon nom) qui feront le plus d’effet sur la foule, symptôme de la tendance actuelle. L’influence de la trap américaine est très présente à l’écoute de ces productions sombres, lunaires, mais très dansantes, à l’image des maîtres en la matière que sont Metro Boomin ou Mike Will Made It. Avant de se retirer et après une reprise du Alright de Kendrick Lamar, Caballero & Jean-Jass invitent une dernière fois leur pote Roméo Elvis pour reprendre l’hymne officiel Bruxelles Arrive, donnant une nouvelle fois à la fosse de la petite salle montpelliéraine des allures d’arènes de combats de gladiateurs (on pense fort aux personnes de petite taille coincées dans cette marée humaine).
Si l’on regrette la courte durée du concert (entre 55 minutes et 1h) et que l’on aurait aimé découvrir plus d’inédits de leur Double Hélice 2, les deux acolytes ont tout de même proposé un show quelque peu prévisible mais efficace et très sportif qui aura fait salle comble.
Les organisateurs de Based MTP avaient vu juste et ont encore une fois proposé une soirée d’exception. La scène rap belge concurrence désormais nos talents hexagonaux et risque donc de devenir indispensable à l’avenir dans l’évolution actuelle et future du mouvement hip-hop en Europe : on vous aura prévenu, Bruxelles Arrive !