Étudiante et prostituée, la triste réalité
Selon une étude de l’Amicale du Nid publiée cet été, 4% des étudiants du campus Paul-Valéry se seraient déjà prostitués. Malgré le tabou qui l’entoure, la prostitution étudiante est une réalité. Alors comment en arrive-t-on à de tels extrêmes ?
Montpellier, troisième ville étudiante de France selon l’INSEE, accueille chaque année de nouveaux étudiants qui doivent parfois faire face à d’importantes difficultés financières. Alors quand les parents ne peuvent pas les soutenir et que le cumul des petits boulots ne suffit pas, certains se voient contraints de trouver d’autres alternatives.
C’est le cas de celle que nous appellerons Julie. Il y a un an, elle quitte la banlieue lyonnaise pour la cité héraultaise afin d’entreprendre des études universitaires à Paul-Valéry. Elle trouve rapidement un emploi de serveuse les week-ends. Son salaire, bien qu’elle touche une aide au logement, passe presque entièrement dans le loyer de son studio montpelliérain. Elle cherche alors à faire du ménage et du baby-sitting pour couvrir le reste de ses frais. « C’était impossible à concilier avec mes études. Je travaillais pour étudier et mes études m’empêchaient de travailler ! C’était un cercle vicieux », se rappelle Julie. Hors de question pour elle de mettre un terme à sa scolarité, par ambition bien sûr mais aussi par peur de décevoir sa famille.
« Ce n’était pas la solution de facilité »
« Il me fallait de l’argent, très rapidement. » La jeune fille de 22 ans décide alors de poster des annonces sur divers sites internet. Des messages du type « étudiante cherche homme respectueux pour passer d’agréables moments », auxquels elle reçoit des dizaines de réponses en quelques heures. Devant un tel afflux de propositions (pas toujours de très bon goût), elle prend peur et veut tout arrêter. Mais sa situation financière la rattrape. Elle fait le tri dans les messages reçus et donne rendez-vous à l’un de leurs auteurs, dans un café proche de la Comédie. « J’étais stressée mais j’y suis allée quand même. J’ai eu de la chance finalement. Je me suis trouvée en face d’une personne plutôt sympathique », assure-t-elle. C’est toujours comme ça qu’elle procède afin de voir avant à qui elle a à faire et de s’assurer un minimum de sécurité.
Une fois le premier contact établi, elle accède aux demandes de ses prétendants. Au début, elle se refuse à toute relation physique avec eux. « Je leur tenais simplement compagnie au restaurant ou lors de soirées. Très vite, ça n’a plus suffi. » Finalement, elle cède. À l’hôtel ou dans l’intimité de son studio d’étudiante, mais jamais chez eux, elle trouve ça bien trop dangereux. « Après tout, on ne sait jamais vraiment sur qui on tombe. »
« Après qu’on ait couché ensemble, je les écoute raconter leur vie »
C’est avec beaucoup de lucidité que Julie explique pourquoi ces hommes préfèrent s’offrir ses faveurs plutôt que celles d’une « vraie prostituée ». Selon elle, ceux qu’elle se refuse à appeler ses clients viennent chercher plus que du sexe. « Je dirais que nos relations sexuelles sont normales, rien d’extraordinaire. C’est très clair entre nous dès le départ : je ne suis pas une actrice porno », dit-elle. Avant et après, ils prennent le temps de discuter de choses et d’autres, de lui confier leurs problèmes qu’ils rencontrent au travail, avec leur famille ou dans leur couple. Ce sont souvent des hommes mariés, qui veulent s’évader de leur quotidien. Julie affirme qu’avec ces échanges, elle a moins « l’impression de se vendre, de n’être bonne qu’à leur donner satisfaction au lit ». Loin d’être naïve, elle explique que ces hommes « se sentent mieux de solliciter une fille propre sur elle qui fait ça pour payer ses études plutôt que celles qui font le trottoir. Des fois, on dirait même qu’ils pensent faire une bonne action ».
De l’argent pas si facilement gagné
« Je n’ai pas l’impression d’être comme ces filles, avenue de Toulouse, de me prostituer. Rien que le mot me dégoûte. » Pourtant, les relations qu’elle entretient avec ces hommes sont bien tarifées. De 300 à 800 euros suivant les prestations. Pour autant, l’argent n’est jamais monté à la tête de Julie. Rien d’extravagant dans sa manière de vivre, comme elle le dit : « C’est juste alimentaire, je ne travaille pas plus pour gagner plus. » En effet, l’étudiante affirme passer parfois plusieurs semaines sans voir de clients quand ce n’est pas nécessaire. Loin des clichés de l’escort-girl habillée avec des vêtements de marques sortant tous les week-ends en discothèque, la jeune fille s’applique à passer inaperçue afin de ne pas susciter les interrogations.
Depuis un an, Julie prend mille précautions pour que personne ne se doute de rien. « Très peu de personnes sont au courant dans mon entourage. Parfois je me sens seule ». Alors quand on lui demande ce qu’elle répondrait à ceux qui affirment qu’il s’agit d’argent facile, elle dit simplement : « Oui, je ne passe pas des heures derrière une caisse à Monoprix ou à faire des frites à MacDo. Mais je dois vivre avec un dégoût et une honte permanents de ce que je fais pour vivre. Je dois mentir à ma famille, à mes amis, à mon copain. Alors non, c’est pas facile. Et à ceux qui diront qu’on a toujours le choix je dis : vous croyez vraiment que si j’avais le choix je m’infligerais tout ça ? »
La faute à la précarité ?
Il y aurait environ 2,2 millions d’étudiants en France dont 10 .000 vivraient en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec des revenus de moins de 650 euros par mois. Ils sont 26% à affirmer qu’ils ont des difficultés à faire face aux dépenses du quotidien telles que l’alimentation, le loyer et autres factures. Aujourd’hui, c’est une réalité, il y a bien un revers à la médaille de la vie étudiante. Difficultés à trouver puis à assumer financièrement un logement, concilier travail et études, affronter les dépenses courantes et celles liées à la scolarité… Autant d’éléments de réponses peuvent expliquer ce choix que font certains.
Pourtant, la précarité n’est pas la seule explication selon Philippe Andres de l’Amicale du Nid La Babotte, association à l’origine de l’étude sur la prostitution étudiante menée à Paul-Valéry. « Nous n’avons pas tous les éléments de réponses et même si la précarité est l’un des plus récurrents, un parcours de vie fragilisant, l’isolement ou l’emprise d’un groupe sont également à prendre en compte. Il n’y a rarement qu’un seul élément explicatif, chacun a des raisons qui lui sont propres », explique-t-il. De plus, ce formidable outil qu’est le web facilite considérablement les rencontres et engendre une autre forme de prostitution, celle où l’offre et la demande n’amorcent pas leur confrontation sur le trottoir mais derrière un écran. « Internet contribue à la banalisation de la prostitution, tout comme de mettre le mot « escort » à la place de prostituée », affirme Philippe Andres. Si la précarité semble en haut de liste, autant de données démontrent qu’il est très difficile de connaître la cause de la prostitution étudiante.
Sources : INSEE, OVE, IMDE, UNEF
(Crédit photo de Une : © Marion Dhoudain)