Grise mine pour les tatoueurs montpelliérains
Depuis mars 2013, le bruit dans le monde du tatouage ne vient plus seulement des dermographes. Un arrêté ministériel du 6 mars, publié à la demande de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et appuyé par le Syndicat national des Dermatologues et des Vénérologues (SNDV) prévoit d’interdire 59 colorants sur 153 à partir du 1er janvier 2014. La raison ? Ils seraient soupçonnés d’être cancérigènes ou allergisants.
Une affaire de frontières
Cet arrêté fixe la liste des pigments qui ne pourront plus entrer dans la composition des encres de tatouage. Ces encres, sur le point d’être interdites en France, sont pourtant les mêmes encore utilisées légalement en Europe. À savoir même que les pigments contenus dans ces encres sont « fabriqués à l’étranger mais étiquetés et vendus en France et parfaitement tracés ». Serait-ce une obligation indirecte d’acheter made in France ?
Le jeu du « ni oui-ni non »
Même si le SNDV explique que l’ensemble des encres contient des métaux toxiques (cobalt, chrome, cuivre, antimoine…) et parfois des hydrocarbures, cette nouvelle loi est purement basée sur le principe de précaution. L’ANSM estime en effet ne pas avoir « de données suffisantes à ce stade pour s’assurer de leur innocuité » ce à quoi Tin-Tin (président du Syndicat national des Artistes Tatoueurs (SNAT) ) rétorque qu’on ne peut pas non plus s’assurer de leur caractère nocif pour l’organisme lorsqu’ils sont placés sous la peau.
Une affaire de famille de produits
« L’arrêté ministériel interdit des produits de tatouage contenant des colorants utilisés par ailleurs dans les produits cosmétiques pour lesquels des restrictions existent », explique Cécile Vaugelade, directrice adjointe de la direction des dispositifs médicaux thérapeutiques et des cosmétiques à l’ANSM. L’inadéquation étant que les produits de tatouage ne possèdent pas le statut « cosmétiques » mais celui de « procédés invasifs et au long cours avec effraction de la peau et du derme ».
Les arguments du SNAT pour défendre les intérêts de la profession devant le député Olivier Véran, le 27 novembre, ne manquent pas. En raison de cette loi, les clients adeptes de couleurs seraient ainsi poussés à se faire tatouer à l’étranger. Selon Grenouille, secrétaire féminine du SNAT, « neuf encres de couleur sur dix sont concernées par cette interdiction ». Mais on pourrait tout aussi bien assister à une recrudescence de tatoueurs clandestins manquant aux règles d’hygiènes, voire à ce que certains des 3.500 à 4.000 tatoueurs professionnels, déclarés dans l’Hexagone, se mettent en infraction pour répondre à la demande du marché.
L’IFOP s’est penché sur la question lors d’un sondage en juillet 2010 : 10% des Français seraient tatoués et 20 % de ces tatoués ont moins de 30 ans. Mieux, un jeune sur cinq âgé de 25 à 34 ans déclare posséder un tatouage.
Le Nouveau Montpellier a voulu en savoir plus et a récolté les réactions de certains artistes, dans les shops de tatouages à Montpellier, premiers concernés par l’interdiction des encres de couleur. Parmi les interrogés :
Audrey, tatoueuse chez MaisonHate Store :
Cailloux, tatoueur chez Lowbrow Tattoo et Dekalcomanu :
Christopher, tatoueur chez Ink’n’Steel :
Christopher n’a pas souhaité que ses propos soient enregistrés. Il expliquait, notamment, que si l’arrêté est appliqué en janvier 2014, les clients pourront toujours se faire tatouer chez lui en couleurs. Pour lui, l’État s’évertue à mettre des bâtons dans les roues de sa profession. Il estime que son métier n’est pas reconnu par le gouvernement et va même jusqu’à assimiler son statut à celui des prostituées. Autre parallèle : Christopher ne comprend pas non plus pourquoi des encres seraient interdites en France mais légales en Europe alors qu’on peut trouver des cigarettes et de l’alcool à tous les coins de rue. Dans ce shop, on se demande même si cet arrêté ne serait pas né de la connivence entre des responsables de la santé, du gouvernement et de probables futurs industriels qui souhaiteraient investir dans la création de pigments pour encres de couleur en France…
David, tatoueur chez Badabing Tattoo Shop :
Damien, tatoueur chez MDS Tattoo Piercing :
Damien prête peu d’attention à cette future loi et affirme que, quoi qu’il arrive, « chez MDS on continuera à tatouer en couleur ».
Mickey, tatoueur chez Stencil-Draws Tattooshop :
Patrick, tatoueur chez 10.4.68 Studio :
Il n’a pas souhaité être enregistré et a été bref : « moi, ça fait 25 ans que je suis tatoueur et depuis 25 ans on nous fait chier. J’ai pas d’avis sur cet arrêté. De toute façon, chaque année on est emmerdé, donc tu pourras revenir l’an prochain pour m’interviewer sur un nouveau problème ».
Convention Tattoo Montpellier 2012 par HERMIT-PROD
Événement : Le public montpelliérain pourra s’immerger dans cet univers et retrouver les tatoueurs de Montpellier, de France, et d’ailleurs, pour la troisième année au Zénith au salon international du tatouage 2014, les 10 et 11 mai.
Image de une : David pendant l’effort. © Badabing Tattoo