La permanence de la députée qui a enflammé les médias
Dans la soirée du samedi 8 octobre 2016, la dégradation de la permanence de la députée Anne-Yvonne Le Dain lors d’un carnaval de nuit a fait grand bruit et a engendré un certain émoi à Montpellier. Un événement qui a fait réagir bon nombre d’observateurs durant la journée de dimanche, notamment dans la sphère médiatique et politique, dépassant largement le cadre local. Témoignages et analyses sur ce qui s’est réellement passé.
Il y a une semaine jour pour jour, la ville de Montpellier se réveilla choquée par les incidents survenus la veille au soir. En effet, la permanence de la députée de la 2ème circonscription de l’Hérault, Anne-Yvonne Le Dain, a été violemment dégradée lors d’une manifestation initiée par l’Assemblée Générale Populaire Nuit Debout de Montpellier.
#Montpellier le carnaval en soutien à la #ZAD #NDDL émaillé de dégradations notamment sur la permanence de @Ayledain pic.twitter.com/HkjrSB4J26
— LeNouveauMontpellier (@LeNouveauMtp) 8 octobre 2016
C’est lors de leur manifestation sauvage qui suivit la première utilisation du « 49.3 » par le gouvernement, le 10 mai 2016, que la permanence de la députée fut la cible — pour la première fois — du mouvement social. Cependant, une semaine après que le soufflet médiatique soit retombé, comment expliquer que l’on soit arrivé à ce degré de violence ? Y-a-t-il une cabale contre la députée Anne-Yvonne Le Dain ? Et pourquoi cela a t-il provoqué une tempête médiatique qui s’est largement répandue au-delà de Montpellier ?
Pour bien comprendre le déroulé de cette soirée, l’A.G Populaire Nuit Debout de Montpellier avait prévu un carnaval intitulé « Karnaj’val » qui faisait suite à leur contre manifestation sur les anti-migrants l’après-midi même. Ce carnaval avait pour but de défiler contre la loi travail et l’état d’urgence mais aussi de manifester leur soutien à la Z.A.D de Notre-Dame-des-Landes. Cette dernière organisait, ce jour-là, une action contre le projet du transfert d’aéroport de Nantes vers cette commune. Environ 200 personnes étaient présentes à ce carnaval.
Ce n’est pas la première fois qu’avait lieu ce type de carnaval revendicatif en soirée à Montpellier. Pour Franck, participant de la 1ère heure à l’A.G Nuit Debout, ce type d’action festif et engagé a pour but de « s’ouvrir au public avec de la musique et des feux d’artifices. Cela donne une autre image du mouvement social. » Ainsi, deux carnavals ont eu lieu les 14 et 28 mai derniers rassemblant entre 300 et 500 personnes dans lesquels régnait une ambiance bon enfant et où aucun incident majeur n’a été déploré malgré quelques face-à-face lors des barrages de C.R.S dressés sur certains lieux de l’Écusson.
Passage à St Roch #Carnaval #NuitDebout #montpellier #LoiTravail #49al3 @NuitDebout34 @nuitdebout @GlobalDebout pic.twitter.com/pFRWgZkvjn — LeNouveauMontpellier (@LeNouveauMtp) 14 mai 2016
À contrario, ce 3ème carnaval du 8 octobre dernier revêtait une ambiance toute autre. Une atmosphère particulièrement pesante émanait de cette manifestation. Bien que les forces de l’ordre aient été très discrètes — comparé aux précédents carnavals — « on a remarqué très vite une certaine tension, c’était assez bizarre comme ambiance » indique un membre des désobéissants de Montpellier. Franck nous explique qu’« avec cette rancœur sur le fait que la loi travail soit passée, sur le fait que le gouvernement n’ait pas respecté le peuple à travers l’utilisation du 49.3, ça s’est peut être matérialisé ce soir-là par des actions plus violentes ».
Ainsi, plusieurs bâtiments et commerces du centre-ville ont été dégradés durant ce carnaval. Mais c’est évidemment la dégradation de la devanture du local de la députée Anne-Yvonne Le Dain qui a marqué cette soirée. Vers 23H durant le parcours du carnaval, ce local situé sur la rue André Michel a été pris à partie par la réalisation de tags et par des bris de vitre causés par une longue clé à cran. Par la suite, un container à poubelles a été incendié et projeté à quelques reprises sur la devanture du local puis déplacé à quelques mètres de la permanence.
Si ce n’est pas la première fois que son local est saccagé, ces dégradations ne se sont jamais déroulées à un tel niveau de violence. Outre le fait qu’elle soit du Parti Socialiste et que son local soit situé en centre-ville (non loin du trajet qu’emprunte la plupart des manifestations contre la loi travail à Montpellier), la personnalité et les idées politiques de la députée peuvent cristalliser une certaine antipathie à son égard.
En effet Franck estime qu’Anne-Yvonne Le Dain jouit d’une mauvaise image car elle « est localement connue pour son mépris, son clientélisme et le fait qu’elle ait voté toutes les lois liberticides telles que la loi travail. » Interviewée hier, Anne-Yvonne Le Dain a réagi à ces déclarations « Je ne partage pas cette analyse. Je n’ai jamais refusé de discuter avec qui que ce soit, ni à ma permanence, ni dans les rues […] je l’assume [d’avoir voté la loi travail, ndlr], je l’ai dit de manière ouverte et claire » et déclare dans le même temps « si les élus de la République commencent à avoir peur de dire ce qu’ils pensent… On est mal. »
Si la députée a tardé à réagir sur les réseaux sociaux (son téléphone était en mode silencieux durant cette soirée, ndlr), il n’a fallu que très peu de temps pour attendre des réactions suite à la dégradation de sa permanence.
Ainsi, quinze minutes après notre tweet sur ces incidents, Hussein Bourgi (le secrétaire fédéral du P.S dans l’Hérault) a posté une publication sur facebook et un tweet vingt minutes après sur ces faits. Dix minutes plus tard c’est Sébastien Denaja, le député de la 7ème circonscription de l’Hérault (et Vice-Président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale) qui s’est fendu d’un tweet sur ces dégradations en identifiant sur les photos, entre autres, les comptes Twitter du P.S, du 1er secrétaire national du P.S, et du président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale. La machine médiatique est lancée !
Le lendemain matin, ce sont les médias locaux qui naturellement ont été les premiers à dégainer sur cette actualité : Infos H24, France 3 Languedoc-Roussillon, Montpellier Web News, Midi Libre, France Bleu Hérault. Mais l’affaire locale a basculé nationalement vers midi avec l’article de l’A.F.P paru dans L’express, Libération, Le Point, Le Figaro, L’Obs…
Un détail qui interpelle sur ces articles, provenant aussi bien des médias locaux que nationaux, est le fait qu’ils déclarent que ces dégradations se sont produites en marge du carnaval. Or, notre tweet informant des dégradations durant cette soirée indique clairement qu’elles ont eu lieu pendant le carnaval pour lequel cette manifestation a pris fin sur la place Roger Salengro vers 23H45.
La plupart des médias ont mentionné également que le local a été incendié. Franck précise sur ce point qu’ « incendié n’est pas vraiment le mot. Ils ont mis des palettes dans les poubelles, ont mis le feu aux palettes, ils ont rapproché les poubelles du local, mais le local n’a pas pris feu à un seul moment. Il n’y avait pas de quoi rentrer la poubelle dans le local. Ce n’était pas l’esprit de l’action. La preuve est que, juste après, la poubelle a été mise à distance du bâtiment. Honnêtement, l’intention n’était pas d’incendier et je ne crois pas qu’Anne-Yvonne Le Dain ait pensé qu’on ait voulu mettre le feu à son bureau.»
La députée ne l’entend pas du tout de cette oreille. « C’est une action délibérée ! » rétorque t-elle, « ils ont déplacé des palettes, une poubelle et y ont mis le feu. Pour faire fondre un container de poubelles qui est un matériau solide et épais, il faut vraiment être déterminé et équipé. »
La députée, toujours abasourdie par cette affaire, avait pris connaissance des dégradations au lendemain de ces violences vers 9H et avait fait part de sa désolation avec cette première réaction.
Tristes moments cf #démocratie… Ma permanence parlementaire à nouveau dévastée … Débordement manif #ZAD #NDDL ? https://t.co/8GbYT8VdvX
— Anne-Yvonne Le Dain (@Ayledain) 9 octobre 2016
Émettant donc très vite l’hypothèse que ces dégradations eurent lieu dans le cadre de la manifestation de Nuit Debout en soutien à la Z.A.D Notre-Dames des Landes, la députée a préféré ne pas relayer notre tweet malgré sa référence directe à cette manifestation. Nous indiquant qu’elle n’avait pas vu notre tweet du fait que son portable était en silencieux durant cette soirée, elle n’y a pourtant pas échappé durant la journée de dimanche, le point info sur l’aéroport Notre-Dame-des-Landes, entre autres, le lui a rappelé.
Plusieurs personnalités politiques ont tenu à marquer leur solidarité auprès d’elle. Après la diffusion de l’article de l’A.F.P, Jean Christophe Cambadélis (premier secrétaire nationale du P.S), Christian Assaf (député de la 8ème circonscription de l’Hérault), Carole Delga (présidente de la région Occitanie), Bruno Le Roux (président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale), et d’autres tels que le premier ministre Manuel Valls se sont exprimés pour lui transmettre un message de soutien. Son attaché parlementaire a compilé certains de ces messages sur le tweet ci-dessous.
Merci @manuelvalls @jccambadelis @juliettemeadel @DeputeRaimbourg pour vos pensées || #République tout le temps, partout ! @Ayledain pic.twitter.com/NUx7Nb0XJH — JBaptiste Frontzac (@jbfrontzac) 9 octobre 2016
Enfin, c’est en début de soirée que le président de la république François Hollande vient fermer la marche de ce tourbillon médiatico-politique.
J’ai appelé @Ayledain pour lui exprimer ma solidarité et mon soutien à la suite de la dégradation de sa permanence.
— François Hollande (@fhollande) 9 octobre 2016
Questionné sur les répercussions médiatiques que cela peut engendrer pour les mouvements sociaux à Montpellier, Franck estime qu’une partie de la population ayant une image négative du P.S et du gouvernement a saisi le message politique de cette jeunesse envoyé à Anne-Yvonne Le Dain et « envers ce gouvernement répressif et liberticide. »
Le son de cloche est différent pour les autres protagonistes présents à ce dernier carnaval. Pour le membre des désobéissants de Montpellier interrogé, la question de la stratégie, voire de la maturité politique de certains participants de Nuit Debout Montpellier doit se poser, estimant que cette action dessert plus qu’autre chose, même si la non-intervention des forces de police n’est pas un hasard selon lui.
Le constat d’un membre actif de l’ancienne Z.A.D au quartier de Las Rébès à Montpellier est bien plus sévère. Cette personne qui n’est pas restée jusqu’à la fin du carnaval à cause de l’atmosphère qui y régnait, estime que cette action est « la conséquence de la fin d’un mouvement social long et fatiguant ». L’agacement envers Nuit Debout commence à se faire de plus en plus sentir étant témoin elle-même ce soir-là de tensions vers Saint Roch avec les gens des terrasses et des « carnavaliers ».
Quant à Anne-Yvonne Le Dain, elle estime que ces violences sont malsaines mais qu’elle ne veut pas faire d’amalgame entre « la queue de cette manifestation de 5 ou 10 personnes radicales sur ce groupe de 200 personnes qui sont venues manifester en toute bonne foi. » Cependant, elle martèle le fait qu’elle a le droit de ne pas partager leurs idées et vice-versa, dans le respect de chacun. « Cela s’appelle la démocratie » dit-elle.
A suivre…