Marie-Noëlle Lanuit : « Les sextoys sont un empêchement de se toucher soi-même »
À l’occasion de l’organisation de son 10e salon féminin, le 7 novembre à La terrasse des filles à Montpellier, Marie-Noëlle Lanuit, sexothérapeute, a accepté de parler de sa démarche et de l’événement qu’elle renouvelle chaque mois. Rencontre avec une figure locale du militantisme féministe.
Pour commencer, peux-tu m’expliquer ta formation, comment tu en es arrivé à devenir sexothérapeute ?
Tu me demandes la partie la plus difficile. Il faut que je trie, il y a beaucoup de choses qui n’ont pas de liens forcément. La vie est riche de plein d’expériences, d’aventures, de rencontres… Ce qui m’a amenée à la sexothérapie, c’est l’évidence d’un manque et, spécifiquement, sur le plaisir féminin. Un manque de connaissance, un manque d’éducation, un manque de transmission…
Qu’est-ce qui t’a orientée là-dessus ? Une expérience personnelle ?
Oui, c’est une expérience personnelle. Effectivement, c’est un déclencheur, quand j’ai découvert l’éjaculation féminine. Je connaissais le phénomène parce que je suis curieuse, ça fait dix ans que je suis thérapeute : je me suis formée à la PNL, à l’EMD, des thérapies classiques. Et puis je suis devenue maman : j’ai arrêté de travailler, je n’ai été que maman. J’ai découvert ce phénomène sur moi lors d’une masturbation. Même si je connaissais déjà, j’ai fait des recherches sur Internet et j’ai vu que c’était le vide intersidéral et une montagne, une avalanche de conneries, d’aberrations, de contradictions !

Marie-Noëlle Lanuit : « associer toutes mes compétences de thérapeute et mes compétences sur le corps pour moi c’était une harmonie parfaite »
(Crédit photo : © MNL)
Ta démarche est assez particulière et suscite la curiosité !
Je me suis fortement intéressée au sujet, au plaisir féminin mais spécifiquement sur l’éjaculation féminine parce que je suis une ancienne danseuse donc j’ai vraiment une très bonne connaissance du corps. Je suis toujours actuellement professeure de pilate. La méthode pilate est vraiment une méthode hyper pointue sur la connaissance du corps. J’ai travaillé dans la mode, dans la restauration, dans le spectacle, j’ai été longtemps modèle pour peintres et sculpteurs aussi, donc re-bonne connaissance du corps. Pas de tabou sur le corps. Associer toutes mes compétences de thérapeute et mes compétences sur le corps pour moi, c’était une harmonie parfaite. Et c’est grâce à la PNL qui est une technique basée sur la modélisation. C’était évident que je pouvais apprendre à toutes les femmes ce phénomène. Alors ce n’est absolument pas une quête en soi évidemment, absolument pas une recherche vers quelque chose de plus qu’il faut absolument avoir dans sa vie sexuelle mais c’est une possibilité du corps à connaître !
C’est comme ça que tu en es arrivée à créer ces salons féminins ?
Les salons ont un succès fou. Il y a un tel manque sur ces questions que les salons féminins se sont énormément développés. J’en fais un par mois avec une vingtaine de participantes à chaque fois. Vingt, c’est vraiment un bon chiffre. Plus, ce n’est pas agréable parce qu’il n’y a pas la qualité d’écoute des unes par rapport aux autres. On a déjà été moins et c’est très bien aussi ! C’est vraiment cette transmission qui me passionne.
En plus, ça se passe dans un espace cosy ! (NDLR : l’interview se déroule sur le lieu des salons)
Exactement. J’ai l’écran pour passer des images : on est entre nous, personne ne nous dérange, Sylvain (de l’équipe de La terrasse des Filles) nous fait un service discret, adorable.
Comment ça se passe ? Les femmes viennent régulièrement ou davantage en visite unique ?
Il y a plusieurs cas. Il y a la visite unique, la double ou la triple visite. Je pense qu’au niveau de la conférence, l’information est tellement dense que plusieurs passages, c’est bien. Il y en a aussi quelques-unes qui sont ravies d’inviter des amies, de faire connaître donc elles reviennent accompagnées. Le bouche à oreilles marche. J’ai des témoignages magnifiques où le simple fait de venir a changé la vie de femmes ! Ça les a débloquées, ça leur a ouvert les yeux et ça leur a donné des autorisations, des permissions.
D’où vient le blocage dont tu parles ?
Éducationnel ! Beaucoup éducationnel ! C’est dans notre société ! Ce qui gêne les femmes, c’est vraiment au niveau de l’éducation. Ça et par rapport à leurs expériences avec leurs partenaires, c’est totalement un manque de communication ! On apprend plein de choses dans notre société, on apprend plein de choses à l’école mais personne n’apprend à faire l’amour, personne n’apprend à avoir une sexualité satisfaisante. On pense que c’est inné, qu’il suffit de s’aimer, qu’il suffit d’aimer son partenaire pour que ça fonctionne du premier coup : c’est totalement faux. La femme n’est pas conseillée pour se découvrir elle-même, pour découvrir elle-même son corps. Et ça, c’est vraiment ma démarche : les inciter à connaître leur corps elles-mêmes et à ne pas attendre que ça soit leur compagnon qui leur fasse découvrir. Mon militantisme féministe à moi, il est là ! Le manque de communication, il est partout ! Même les femmes entre elles !
Donc tu essaies de résoudre ces blocages ? Tu leur apprends à aimer leur corps ?
Oui. Quand elles sont récalcitrantes, elles ne viennent pas me voir… Deux femmes sont venues vraiment par curiosité, elles étaient tellement étonnées que quelqu’un puisse faire ça. Elles ont été sidérées d’apprendre autant de choses ! Je n’ai jamais choqué personne ! J’ai toujours des retours hyper positifs ! Je suis très claire dans ma communication : elle savent qu’on ne parle pas de féminité en général, on parle clairement de sexualité et de notre corps.
Quel âge ont les femmes qui viennent ?
De 17 à 77 ans ! C’est génial ce mélange de générations !
Le problème éducationnel dont tu parles est multi-générationnel alors ?
Complètement. J’ai des filles de mamans qui sont venues au salon. Parce que les mamans se rendent compte effectivement qu’elles ne leur ont rien expliqué. Elles se sentent très gênées pour parler de ça avec leurs filles, donc elles me les envoient ! Ce sont des rendez-vous qui sont magnifiques.
Ces mères se remettent en question sur l’éducation qu’elles ont donnée à leurs filles ?
Elles se rendent compte qu’elles n’ont donné aucune éducation. Importante prise de conscience ! Elles découvrent une multitude de choses, elles-mêmes ne le sachant pas, elles n’ont pas pu le transmettre et elles se rendent compte à quel point c’est utile et indispensable !
Tu conseilles quoi alors aux mères pour en parler ?
De venir avec leurs filles au salon féminin ! J’ai d’ailleurs très souvent des mamans avec leur fille. Les mères n’ont rien à dire ! Elles viennent juste assister à une conférence avec leur fille, c’est pas gênant. Ça m’est arrivé plein de fois !

L’étage de la Terrasse des filles, lieu de la conférence (Crédit photo : © MNL)
La fille pourrait être gênée d’imaginer sa mère et son père, le fait qu’ils ont eu une sexualité ou en ont toujours une…
C’est le problème des enfants ça, c’est un gros souci ! C’est un gros problème dans notre société. Les enfants sont habitués depuis tout petits : dès qu’ils entendent les adultes parler de sexualité, c’est en ricanant. C’est en se moquant. C’est en gloussant. Ce n’est jamais de façon simple, normale, comme on va parler d’un restaurant, comme on va parler de gastronomie. C’est toujours de façon grivoise, taquine, moqueuse… La sexualité, ça fait tellement partie de notre vie que ça doit être simple, joyeux, ludique !
Les réunions sextoys se développent beaucoup sur le modèle des réunions Tupperware. Un avis sur la question ?
Ce sont des réunions commerciales qui ne parlent pas de plaisir féminin, qui cherchent à vendre des objets. La démocratisation de ces objets, c’est quelque chose de formidable parce que ça a permis de libérer et de lever certains tabous. Mais, je vois les sextoys comme un empêchement à se toucher soi-même. On a des mains, notre sexe est à portée de main, elles sont faites pour ça, y a que nos mains qui peuvent vraiment découvrir notre corps. Sentir comment il est, la chaleur, la moiteur, comment ça fonctionne, qu’est-ce qui se passe. Le sextoy ce truc en plastique, c’est pire que de se mettre un gant, c’est vraiment éviter de se toucher ! C’est bien, parce que ça donne un accès à l’orgasme, ça peut être un début. Ça peut être un début pour autre chose.
Tu le places où l’homme dans tout ça ?
Ma spécialité, c’est vraiment le plaisir féminin… L’homme, je le mets de côté ! Dans ma conférence, je ne parle absolument pas d’homme, ou alors de façon très anecdotique par rapport à ce que des scientifiques ont dit sur la sexualité des femmes et du côté indispensable de l’homme. Ce qui m’étonne toujours, c’est qu’après le salon, dans tous les témoignages, les commentaires, elles ne me parlent pas d’hommes non plus. Du tout. Lors du salon, elles se rendent compte que c’est pour elles, que c’est un moment pour elles ! Et elles se rendent compte également de ce pouvoir qu’elles ont, en fait, que c’est vraiment à elles de mener leur sexualité, et c’est à elles d’aller chercher leur orgasme, leur plaisir ! De surtout pas attendre que ça soit l’autre qui le donne.
Mais on est dans une société hyper sexualisée…
Qui est mal sexualisée !
Tu penses que les femmes s’aiment davantage quand elles arrivent à avoir ce genre de plaisir personnel ?
Évidemment ! À 100 % ! Elles s’aiment davantage, elles sont mieux dans leur peau, elles sont mieux dans leur tête, évidemment ! C’est toute la conclusion du salon, c’est vraiment le but ! C’est vraiment ma motivation ! Si je poussais loin, je crois vraiment que si les femmes étaient plus épanouies dans leur jouissance, dans leur plaisir, dans leur autonomie au plaisir, je pense que ça changerait la face du monde ! À partir du moment où tu rayonnes ton épanouissement, il transpire sur les autres, y a moins d’agressivité, il y a davantage de bienveillance, il y a plus de tolérance. Les rapports humains sont plus fluidifiés. Il n’y a plus cette agressivité !

(Crédit photo : © MNL)
Retrouvez Marie-Noëlle Lanuit, sexothérapeute, spécialisée dans le plaisir féminin lors de ses salons ou en consultation privée !
(Crédit photo de une : © Audrey Villate)
C’était une rencontre très intéressante, j’aurai pu faire un article de 10 pages, les choix ont été difficiles à faire.
Merci du temps que tu m’as consacré! 🙂