La Panacée : une évasion épistolaire de choix
Depuis le 18 juillet et jusqu’au 21 septembre 2014, la Panacée, Centre de Culture Contemporaine de Montpellier ayant ouvert le 22 juin 2013, accueillera l’exposition « Une lettre arrive toujours à destinationS ». Cette dernière constitue le troisième volet de la saison de la Panacée intitulée « Vous avez un message ». Les 100 000 visiteurs de cette première année témoignent de l’intérêt du public et du succès de la Panacée, un espace de culture et de création ouvert, un lieu de rencontre et de convivialité unique à Montpellier.
Après « Conversations Électriques » qui se tenait du 22 juin au 15 décembre 2013 et qui s’intéressait aux conversations à distance et « Dernières Nouvelles de l’Éther » qui avait lieu du 7 février au 22 juin 2014 et qui explorait l’environnement électromagnétique, cette nouvelle exposition propose une réflexion sur les messages qui transitent par simple lettre comme par médias de télécommunication. Elle invite à s’interroger sur les objets de détournement de ces messages qui établissent un pacte scellé entre expéditeur et destinataire. L’œuvre tout comme la lettre atteint toujours plusieurs destinations et reste soumise aux interprétations de chacun. Ainsi, les visiteurs auront la possibilité tout au long de cette exposition de contribuer aux « œuvres partitions » en disséminant le travail des artistes soit en postant une lettre, soit en emportant l’un des nombreux multiples présentés dans l’exposition ou même en effectuant un « mail art » ou un selfie carte postale qu’ils pourront exposer au milieu des productions de l’atelier permanent.
Cette exposition, placée sous l’œil du commissaire Sébastien Pluot, est conçue comme un contrepoint critique à un environnement technologique qui nous sollicite par l’envoi incessant de messages. Il nous est alors donné la possibilité de disséminer les œuvres comme un virus qui se propagerait par le biais des visiteurs. Lors de cette évasion épistolaire, le public pourra découvrir le travail des 45 artistes internationaux présents sur cette exposition. Ce cheminement représente des mouvements et des œuvres emblématiques de l’histoire de l’art des années 1960 et 1970 mises en dialogue avec des œuvres actuelles dont une dizaine ont été produites par la Panacée, parmi lesquelles celles de Mark Geffriaud et de Audrey Martin.
Comme nous l’explique avec brio la médiatrice Coline Perraudeau, ces artistes se rassemblent dans des mouvements, à l’instar de Fluxus, pour « l’idée d’avoir un art de vie commun. Pour Marcel Broodthaers et les autres, tout le monde est artiste et les actes du quotidien sont des œuvres. Ils donnent une nouvelle interprétation des frontières de l’art avec l’idée dominante de liberté et de participation du public. »

Bettina Samson, « Cinder peak phone booth replica (bluejacking) », 2008 et Yann Sérandour, « World Mirrors », 2011 (Crédit Photo : © Clara Mure)
Une des œuvres de Felix Gonzales-Torres intitulée Untitled (Placebo-Landscape-for-Roni) constitue d’ailleurs un questionnement sur l’histoire de l’art d’une manière autobiographique et politique. En effet, cet artiste a réalisé toute une série avec des bonbons enrobés dans du cellophane doré avec des dimensions variables en fonction de l’installation (voir photo de Une). Il a construit cette œuvre pour son amie Roni Horn qui avait compressé dans une de ses œuvres deux kilogrammes d’or pur dans une feuille. Ému par la beauté du produit, qui était dépossédé de sa valeur marchande, il décida de réaliser ce parterre de bonbons dorés. Ce dernier opère ainsi une critique du statut de l’œuvre d’art car ces bonbons ont été fabriqués de manière industrielle, ce qui en fait une œuvre reproductible. Ici, la reproductibilité est aussi un rapport physique. En effet, prendre un bonbon de l’oeuvre Untitled (Placebo-Landscape-for-Roni) ou une affiche dans Untitled (Nature Morte) est une expérience réelle de l’épuisement et de la perte.
De même, la figure de rectangle, qui s’inscrit dans le mouvement minimaliste prônant la pureté et l’impersonnalité du produit, est vidée de son sens lorsque l’on apprend que l’artiste était séropositif et qu’il a voulu opérer une critique du système de santé en réalisant cette œuvre et ainsi en dévoilant une partie de son intimité. L’artiste avait déjà réalisé dans le passé des œuvres personnelles à l’instar de Perfect lovers en 1987, qui représentait deux pendules indiquant la même heure, ou encore des panneaux publicitaires du MoMA diffusant la photo d’un lit défait représentant sa nuit passée avec Ross Laycock afin d’exposer sa vie intime aux yeux de tous.
Car Felix Gonzalez-Torres ne travaillait pas sur Walter Benjamin, Roni Horn ou Ross Laycock. Pas plus qu’il ne travaillait sur l’homosexualité, sur le SIDA, sur sa propre mort ou sur celle de son amant en réalisant des tas de bonbons diminuant en volume à mesure que la maladie les rongeait. Il travaillait avec tous ces éléments et il apprenait à vivre avec.
C’est ainsi que l’on comprend l’intérêt de ces « œuvres partitions » qui visent à décomplexer le stéréotype selon lequel l’œuvre serait faite par la main divine de l’artiste et serait par conséquent intouchable et immuable. Tout comme la phrase philosophique de l’atelier permanent qui change chaque matin au gré de l’artiste qui l’envoie, l’art est changeant. Il évolue et s’adapte aux situations, au contexte socio-politique. Mais surtout, l’art reflète des émotions et des sentiments humains.
En plus d’être un hymne à la liberté, « Une lettre arrive toujours à destinationS » est un récit de voyages de la part d’artistes remplis de rêves excentriques à l’image de Bas Jan Ader qui a intitulé son projet de traversée de l’Atlantique In Search of Miraculous. Il ne voyait aucune limite entre l’art et la vie, les rêves et la réalité. Ou encore Eleanor Antin qui fit voyager cent bottes, rappelant celles de la guerre du Viêt-Nam, de l’Est à l’Ouest des États-Unis comme pour transmettre l’histoire de ces soldats dans tout le pays.
Ce qui est frappant dans ces œuvres, c’est le dialogue entre les artistes. Car alors que Bas Jan Ander écrivait avant sa mort, en 1975, Please don’t leave me, l’artiste Mikko Kuorinki lui répondit en 2009 But it was you who left me. L’œuvre s’inscrit alors dans le temps, elle se perpétue et entre dans un jeu où toute personne est artiste comme dans les neuf Spatial poems réalisés par Mieko Shiomi dont le numéro deux est entièrement constitué de témoignages d’individus.
Mais cette exposition recèle bien d’autres histoires comme la cabine téléphonique de Bettina Samson qui reliait les mineurs dans les années 1990 et qui a suscité un tel engouement national qu’elle fut supprimée en 2000, ou encore les miroirs sans reflet de Yann Sérandour. Alors ouvrez votre esprit, mettez de côté vos idées préconçues sur l’art contemporain et venez faire partie de cette expérience unique que vous propose la Panacée.
Je vous remercie pour l’information et je passerai à la galerie avec plaisir.
Bonne journée !