Prépa : enfer ou voie royale ?
L’univers de l’enseignement supérieur peut paraître obscur, à bien des égards, notamment pour les lycéens ou jeunes bacheliers. À l’heure des choix d’orientation, retour sur une filière hybride, connue de tous mais parfois mal jugée : la classe préparatoire. Rencontre avec les étudiants de la classe préparatoire à l’ENS Cachan de Montpellier. Entre mythe et réalité, ils sont une centaine d’étudiants à avoir accepté de nous expliquer leur quotidien.
L’École Normale Supérieure, plus connue sous le nom de « Normal Sup », est une création de la Révolution française. Le 9 brumaire de l’an III, la Convention décrète : « Il sera établi à Paris une École normale, où seront appelés, de toutes les parties de la République, des citoyens déjà instruits dans les sciences utiles, pour apprendre, sous les professeurs les plus habiles dans tous les genres, l’art d’enseigner. »
L’attractivité des grandes écoles françaises alimente les vocations, et ce malgré la sélectivité des concours. Chaque année, ils sont plusieurs milliers d’étudiants à faire le choix d’intégrer une Classe Préparatoire aux Grandes Ecoles, en espérant augmenter leurs chances d’admission. Ils étaient environ 95 000 en 2014 selon le ministère de l’Education Nationale. Si les « classes prépa » ne regroupent que 3% des étudiants inscrits dans l’enseignement supérieur, c’est que ces cursus suscitent rêves mais aussi angoisses. Alors, la classe préparatoire aux grandes écoles : enfer ou voie royale ? Ils sont Montpelliérains et vivent la réalité d’une classe préparatoire au quotidien. Aujourd’hui, ils nous éclairent sur une filière parfois victime de son succès.
Un passage obligé
Bien que certaines grandes écoles offrent des possibilités d’admission dès la sortie du baccalauréat, la grande majorité de ces établissements exigent de leurs futurs candidats d’avoir fréquenté les bancs de l’université quelques temps avant de pouvoir postuler. Pourtant, l’enseignement générique prodigué durant les premières années du cycle universitaire ne permet pas toujours une préparation efficace aux épreuves très spécifiques de ces concours. La classe préparatoire, faute d’être une vocation, constitue souvent un choix par défaut, seule porte d’entrée vers des ambitions quasi-inaccessibles.
Un enseignement d’excellence
La singularité des prépas intégrées réside dans une articulation entre cours à l’université et enseignements prodigués par le personnel de la classe préparatoire. Accompagnés par une équipe pédagogique qualifiée et spécialisée dans la préparation aux épreuves du concours, les élèves profitent d’un système d’encadrement et d’un suivi personnalisé, ce qui s’avère être relativement rare dans l’enseignement supérieur. « Les professeurs nous connaissent, ils nous voient évoluer, c’est une véritable chance pour progresser », affirme Quentin, élève de deuxième année.
Loin de s’exclure, enseignants de classe préparatoire et enseignants universitaires travaillent concomitamment à la préparation des étudiants, associant savoirs généraux et plus spécifiques. Grâce à ce système, les étudiants peuvent intégrer l’université à l’issue de leur cursus de classe préparatoire, si ceux-ci le désirent.
Une recette miracle ?
Face à la crainte du chômage, le choix d’une filière sélective peut apparaître comme une solution rassurante. Ainsi, plus de 80% des étudiants interrogés estiment que leur statut d’étudiant au sein de la classe préparatoire constituera un atout pour leur future carrière professionnelle. Pourtant, du fait de l’extrême sélectivité des concours (17 places nationales pour le département Economie-Droit), l’intégration d’une classe préparatoire n’est pas synonyme de réussite aux concours. Ainsi, la préparation des concours consiste également en une préparation à l’échec et à la réorientation vers des filières alternatives (autres concours, magistères, université). « L’ENS ça relève plus du miracle que de la réalité », nous confie une étudiante.
L’imminence d’un choix d’orientation en cas d’échec au concours confronte chaque étudiant aux différentes possibilités qui s’offrent à lui. Faute d’intégrer l’ENS, la classe préparatoire constitue une vitrine des différentes formations envisageables : 45% des élèves interrogés affirment avoir découvert leur projet professionnel grâce à la classe préparatoire.
Une charge de travail conséquente
Malgré un aménagement de leur emploi du temps grâce à un système de conventionnement avec l’université, les étudiants de classe préparatoire doivent maîtriser un programme très large, recouvrant un vaste champ de connaissances et de savoirs-faire. Si l’exercice nécessite un travail de mémorisation, il requiert également la mise en perspective de certains concepts et présuppose un véritable travail de réflexion. Les étudiants doivent donc faire face à la charge de travail qui en incombe, loin des exigences du cycle secondaire. « Entre le lycée et la prépa, ce n’est pas une marche qu’il y a, mais au moins deux ou trois ! Et en passant en deuxième année, le rythme de travail s’intensifie encore », affirme Matthieu.
65% des étudiants interrogés estiment avoir dû restreindre leur vie sociale depuis leur entrée en classe préparatoire, et près de la moitié d’entre eux avoue avoir déjà pensé à abandonner.
Une pression de tous les jours
« Dès les premiers jours, on nous a mis dans le bain. On a tout de suite ressenti la pression », se souvient Elsa. Au vu des objectifs et du temps imparti pour traiter le programme, les professeurs doivent imposer une certaine discipline et exigence quant à la qualité et à la régularité du travail, quitte à pousser les élèves à se remettre en question. Ces derniers sont nombreux à désapprouver les méthodes de certains professeurs, jugées trop extrêmes, voire humiliantes ou arbitraires. Ils sont 35% à s’être déjà sentis dénigrés par un professeur, et 25% à estimer avoir perdu confiance en leurs capacités depuis leur entrée en classe préparatoire. « C’est vrai qu’il faut être fort mentalement pour entrer en prépa, mais surtout pour y rester. En un an, on a perdu un quart des élèves de notre classe », affirme un élève.
Tous reconnaissent l’importance d’une véritable solidarité pour supporter la pression, n’en déplaise aux idées reçues quant à l’ambiance des classes préparatoires. Melvin, bachelier à l’âge de 14 ans, nous confie : « Mon âge n’a jamais été un handicap, j’ai été très vite intégré par les gens de la classe. » Pourtant, 20% d’entre eux avouent avoir déjà reçu une remarque désobligeante d’un de leurs camarades quant à leur travail.
Cursus infernal ou voie royale ? Clé de la réussite ou fardeau ? Ni l’un, ni l’autre, ou peut-être les deux : à chacun de s’y risquer et d’en constituer la mémoire vive, jusqu’à ce que la prochaine promotion vienne prendre le relai. Bientôt, il ne restera de la promotion 2014 que des statistiques, et peut-être quelques sourires sur les visages d’étudiants.
Pour le savoir, rendez-vous en avril 2016 pour le concours de l’ENS.
©Crédit photo de Une, Ouest France, ENS Rennes