Le trio des CyB’elles : « C’est compliqué de se vendre »
Les CyB’elles, trio composé de Camille Maratuech (pianiste), Yliria Daviet (mezzo) et Barbara Derathé (soprano), ont accepté de nous recevoir pour parler de musique, principalement classique. Car si l’on parle souvent de jeunes qui font de la musique électronique, d’autres se lancent dans la musique classique et font joyeusement concurrence aux premiers en termes de succès ! Rencontre avec un groupe qui enchaîne spectacle sur spectacle depuis plus d’un an et gère seul la recherche de contrats et la communication.
Le Nouveau Montpellier : D’où vient l’idée de monter les CyB’elles ?
Barbara Derathé : L’idée de créer un groupe est venue de moi. Parce que le cours de chant d’Yliria était juste après le mien, je suis restée un jour écouter son cours et elle travaillait un duo…
Yliria Daviet : Un morceau qui était un duo et comme Barbara était juste là, le prof a suggéré qu’on le fasse ensemble. Le prof a dit : « Vas-y, essaye, propose à Barbara. »
Barbara : Ce sont des cours individuels au Conservatoire. Que son cours soit après le mien, c’était le hasard.
Camille Maratuech : Il est compliqué à jouer…
Barbara : C’est du Vivaldi. C’est un peu compliqué à monter, alors pour l’instant on l’a mis de côté. Mais du coup, on a bossé ce duo ensemble et le prof a dit : « Ah, vos voix vont bien ensemble, vous devriez bosser des duos. » Très bien, on échange nos coordonnées et on se voit pour bosser.
Vous ne vous connaissiez donc pas du tout avant ?
Barbara : Pas du tout ! On a commencé à bosser ensemble, ça passait bien et je lui ai dit : « Ça fait longtemps que j’ai envie de monter un groupe de classique, est-ce que ça te dit ? Même si c’est de l’investissement, du temps, de l’argent, que peut-être on n’aura jamais de concerts. » Et elle m’a répondu que ça la tentait. Par contre je ne connaissais pas de pianiste. De sa formation de musicothérapeute, elle connaissait Camille. Et le soir-même on s’est croisées, on a parlé de ça…
Et toi, du coup, tu as suivi les deux chanteuses ? Tu n’as pas craint d’être un peu à part ?
Camille : Quand on est accompagnateur en musique de chambre, c’est comme ça. Elles se voient en tant que chanteuses et après, nous, on accompagne.
Être en retrait ne te dérange pas ?
Camille : Non, de toute façon je ne peux pas faire autrement.
Barbara : Après, il y a la façon dont on gère nos répétitions. On dit : « Ça on fait plus comme ça, plus comme ça. »
Le nom, j’ai cru comprendre que ce sont les premières lettres de vos prénoms ?
Barbara : Et « elles » parce que c’est un trio féminin.
Le choix du nom a été facile ?
Barbara : Euh, non ! (Rires) En fait, au départ on l’avait écrit B, Y, C. Et là c’était dur, parce que les jeux de mots avec ça, il y en avait ! Comme « biquette », on s’est dit que dans les églises, tout ça… Moyen !
Yliria : On était sur Décibels…
Barbara : Oui c’est vrai, on a inversé et on s’est dit : Cyb, CyB’elles, décibels.
Yliria : Ça a pris plusieurs jours.
Barbara : J’ai cru qu’on n’y arriverait jamais ! (Rires)
Au début, comment cela s’est-il passé pour avoir des dates ? Des concerts ?
Barbara : Le premier concert qu’on a fait, c’est la scène ouverte de la Maison des chœurs.
Yliria : J’avais fait cette scène ouverte l’année d’avant avec un autre groupe où on était aussi trois filles. J’ai dit « Ah oui c’est vrai, il y a cette scène ouverte » et ça nous a boostées à monter un programme.
Barbara : C’était le 2 mars (2014, ndlr).
Yliria : En fait, c’est ça qui nous a lancées. Il y avait trois groupes à cette scène ouverte,
Quels étaient les autres groupes ?
Yliria : Il y avait une chorale…
Barbara : C’était mélangé, il y avait un groupe de percussions…
Yliria : Sans dire qu’on avait un bon niveau parce qu’on commençait juste. En tout cas, on s’est un peu détachées du lot.
Barbara : Et on était les seules, en petit groupe, à faire du classique aussi. Après, à la Maison des chœurs, il y a souvent des concerts, c’était un public averti qui a apprécié, ça nous a beaucoup motivées pour continuer.
Du classique, trois filles, jeunes…
Camille : C’est une passion, ce n’est pas commun.
Yliria : En fait, à cette scène ouverte il y avait un gars qui faisait des vidéos. Ca aussi, ça nous a boostées !
Barbara : Après on a chanté à Pierres Vives, aux archives, parce que je travaillais là-bas. Il nous a été proposé de venir animer la Nuit des archives. Et de là, grâce à Pierres Vives, il nous a été proposé de venir chanter à la Fête de la musique à Saint-Martin de Londres. Après on a été à l’Abbaye de Valmagne. Ce qui nous a permis aussi de rencontrer énormément de gens, c’est de chanter à l’Hôtel Cambacérès pour les Journées du patrimoine et à la Chapelle des Pénitents Blancs, rue Jacques Cœur.
Comment ça s’est passé pour l’Hôtel Cambacérès ?
Barbara : Chaque été, pour la Fête de la musique, on y chante avec le Conservatoire. Du coup on leur a proposé et ils ont dit ok.
J’y suis passée, il y avait du monde !
Yliria : Il y a eu du monde en continu sur les deux jours. Le lieu sonne super bien, alors les gens nous entendaient de loin. Ils étaient vraiment surpris d’entrer dans l’hôtel, de voir les lieux et de voir ce genre de prestation. Ce n’est pas courant. C’est sûr, ça a bien marché et la chapelle était pleine !
Barbara : La chapelle, pareil. Un jour je suis entrée, j’ai demandé, j’ai proposé au prieur…
Au culot ?
Barbara : Oui, je lui ai demandé s’il était d’accord pour qu’on vienne chanter pour les Journées du patrimoine, il a dit ok. Je ne lui ai proposé qu’un jour et il m’a demandé qu’on vienne les deux jours. Du coup, on y a chanté le 25 décembre. Grâce à ça, on a rencontré le consul de Monaco à Montpellier qui a participé à la rénovation de la chapelle. La confrérie des Pénitents Blancs de France et de Monaco sont associées.
Vous faites de la publicité au Conservatoire ?
Barbara : Carrément. Le directeur est trop cool, il nous laisse mettre des affiches et tout !
Quand on est dans un métier passion comme ça, j’imagine qu’il y a des gens qui veulent vous faire bosser gratuitement ?
Barbara : Ah oui, c’est compliqué quand, comme c’est souvent le cas, tu es face à des gens qui n’y connaissent pas grand-chose.
Yliria : C’est tous univers confondus et c’est compliqué de vendre son travail. C’est qu’actuellement, il y a des sous nulle part.
Barbara : Même s’il y avait des sous, il y a des gens qui ne se rendent pas compte qu’il y a du boulot. Ce n’est pas forcément une question de budget, ils voient la prestation du moment mais ils ne se rendent pas compte qu’il y a des heures de répétition avant. Et tu n’es payé que sur tes représentations.
Camille : Une actrice qui prend 1000 euros sur quatre journées parce qu’elle est seule pour un événement… Et l’organisateur est revenu vers nous en disant : « Ah mais j’aurais dû calculer, vous êtes trois ! »
Barbara : C’est compliqué de se vendre, surtout quand les gens ne se renseignent pas avant. Tu annonces un prix, ils ont l’impression que c’est énorme. Parce que les cachets d’intermittence, pour avoir 100 euros il faut en demander 200. Et quand on est trois, c’est 600 euros ! Et voilà, un organisateur nous avait dit « Il y a une fille, elle vient quatre jours et c’est 1000 euros. Pourquoi, vous, c’est 600 euros ? » Déjà, elle est seule. Et elle, c’est de l’animation qu’elle fait. Le prix c’est ça, entre 40 et 50 euros de l’heure, ce qui n’est pas du tout la même chose. C’est super compliqué d’expliquer ça.
Il y a des gens réfractaires ?
Barbara : Oui parce que ce n’est pas le régime général.
Vous êtes intermittentes toutes les trois ?
Ensemble : Non, non.
Barbara : Il faut beaucoup trop d’heures.
Yliria : Sauf si tu fais partie d’une compagnie, et encore. Mais la plupart des intermittents, ils font toutes leurs dates l’été. Il y en a qui tournent tous les soirs sur deux mois, et après ils ont un an de statut. Et des troupes de danse ou de théâtre qui montent un spectacle en itinérant, ça peut tourner sur un voire deux ans. Si tu fais le même set, il faut changer de lieu.
Barbara : Tous les lieux où l’on a chanté, on revient parce qu’ils adorent. Mais comme on revient, on doit changer de programme et ça fait un travail monstrueux !
Vous faites combien de morceaux ?
Yliria : On en a pas mal.
Barbara : Une heure et demi. Avec les archives, en tout, on a deux heures. Tout mélangé entre opéras, opérettes, mélodies, musique sacrée, chants de Noël et les morceaux des archives.
Yliria : On met beaucoup d’énergie dans les chants de Noël mais on sait que ça ne fonctionne que pour un mois. En mars, on ne peut pas le proposer.
Oui, mais ça resservira l’an prochain.
Barbara : Et encore, si on va dans le même lieu. Après, il n’y a pas non plus 36000 chants.
Yliria : Tout ça s’est bien enchaîné quand même. On allait à un endroit, on rencontrait de nouvelles personnes et on a agrandi notre carnet d’adresses.
C’est au culot. Et il faut avoir le temps pour les démarchages, non ?
Barbara : Oui, et il y a déjà un tel travail de partitions, de musique, de communication, de faire un site, de mettre à jour… Là, on a un ami qui nous aide pour les affiches, mais la com’ c’est nous. Pour une année d’existence, on se débrouille bien.
Vous n’avez pas peur d’être enfermées dans une ville comme Montpellier qui n’est somme toute pas si grande ?
Yliria : Il y a quand même plein de lieux où chanter.
Barbara : Et il y a tous les petits villages autour. Il y a de quoi faire.
Yliria : Le problème de chanter dans les bars, par exemple, c’est que le son est souvent écrasé.
Barbara : Oui, l’acoustique c’est compliqué dans un bar. Je pense que les gens, tu leur pètes les oreilles.
Ça va mieux dans les églises ?
Yliria : En tout cas, on a fait des concerts dans des endroits où le plafond était bas. C’était désagréable pour nous et pour les gens, ça tourne dans la salle.
Vous faites un peu en extérieur ?
Yliria : On fait de la rue, oui.
Barbara : La Fête de la musique à Saint-Martin, c’était en extérieur. Mais c’est compliqué parce que soit c’est un lieu qui s’y prête un peu et sans sonorisation, ça va, soit on est sonorisées parce que c’est un gros événement et là c’est compliqué si tu as un ingé son qui ne connaît pas du tout ce genre de voix. Soit c’est trop fort, soit ce n’est pas assez fort, soit ça sature… C’est vraiment dur. Mais de la rue, oui on va en refaire.
Yliria : Il y a quelques endroits où on sait que ça sonne bien à Montpellier.
Barbara : Notamment devant Pomme d’api. En plus, le patron adore et n’arrête pas de nous dire de revenir !
Yliria : C’est le magasin de skates à côté qui aime moins ! (Rires)
Barbara : C’est bien en plus, parce qu’il y a des gens qui ne seraient jamais venus en concert qui s’arrêtent. Beaucoup d’enfants aussi, parce qu’ils n’ont pas d’a priori sur le genre de musique.
Il y a beaucoup de gens qui ont des a priori sur la musique classique ?
Yliria : Ah oui, « L’opéra c’est chiant ! » ou « L’opéra c’est pour les riches ! »
Barbara : « Vous chantez comme ci, comme ça ! » (Elle caricature un chant d’opéra) Ils pensent que c’est cher alors qu’il y a plein de choses qui sont faites pour rendre ça accessible, avec des places à 10 euros quand même. Et ce n’est pas plus cher que quand tu vas au cinéma. Mais les gens restent assez fermés. Et quand ils découvrent, parfois ils disent : « Je ne suis pas trop, mais en fait j’aime bien ! »
Des gens qui viennent après aux concerts ?
Barbara : Au début non, parce qu’on n’était pas bien organisées. Mais maintenant on prend les adresses mails, on a des plaquettes. Là-dessus, merci aux réseaux sociaux. On est sur tout ! Facebook, Linkedin, Google +, Twitter…
Infos pratiques
Prochains concerts, entrée libre pour tous :
Dimanche 5 avril, 17h, Eglise de Lattes à Port Ariane
Samedi 11 avril, 20h30, Chapelle des Pénitents Blancs
Samedi 9 mai, 17h, Temple de la rue Maguelone
Samedi 16 mai, dès 19h pour la Nuit des Archives de Pierres Vives
Dimanche 21 Juin, pour la Fête de la musique de Saint-Martin de Londres
(Crédit photo de Une : © Les CyB’elles)