Une société sans argent : une utopie ?
La Semaine de l’environnement de Montpellier est aussi une occasion de s’exprimer, au-delà des questions écologiques, sur les fondements mêmes de nos systèmes politiques, économiques et sociaux. C’est dans cette optique qu’est mise en place une Gratiféria, dont l’inauguration le mardi 29 mars a été suivie d’un débat autour de la gratuité.
Une société qui fonctionnerait sans argent ? Une idée étrange, farfelue, voire même utopique. Du moins aux yeux d’un monde comme le nôtre, qui a déjà vécu plusieurs millénaires sans avoir connu d’autre solution. Mais à l’heure où les crises économiques éclosent un peu partout les unes après les autres, certains se demandent s’il n’est pas judicieux de remettre en question notre fonctionnement. Ils sont représentants de l’Accorderie, de Gratiféria 34, du SEL de Montpellier, ou encore créateurs de monnaies locales. Tous sont convaincus des bienfaits d’un système dans lequel l’argent serait obsolète, voire absent. Et ils ont partagé leur expérience sur ce thème, lors d’un débat organisé sur l’Ecosite de la Semaine de l’environnement, dans une atmosphère bienveillante et optimiste.
Une conviction partagée
Jean-François Aupetitgendre est auteur du livre Le porte monnaie : une société sans argent ? qui propose le récit fictionnel d’une communauté ayant décidé d’éliminer les échanges monétaires. Pourquoi, comment, et pour quel résultat ? Telles sont les questions que se sont posées, au moins une fois, les personnes présentes autour de ce cercle. Tout au long de sa vie, Jean-François Aupetitgendre a recherché et mis à l’épreuve différentes alternatives au schéma économique actuel. Il en revient toujours à la même conclusion : « Actuellement, on va vers des impasses économiques, sociales ; le chômage, le logement, la prostitution… Et si on supprime l’argent, on s’aperçoit que toutes ces impasses sont débloquées. » Il prend l’exemple simple du logement : au Grau du Roi, environ 80% des logements sont inoccupés une grande partie de l’année. Ainsi, « si on supprime la nécessité de faire des profits financiers, des logements, il y en a plein. » Postulat qui peut avoir ses failles à première vue, mais qui, en poussant plus loin la réflexion dans une logique similaire, mérite d’être envisagé. De son côté, Christian Sunt, objecteur de croissance, est favorable au principe du revenu de base. « On appelle ça une dotation inconditionnelle d’existence. Les gens délivrés de la nécessité de gagner leur vie peuvent exercer leur fonction dans la société. »
Retour à l’échange et à la solidarité
Geneviève Terrier est présidente d’un SEL : Système d’échange local. Dans ce concept d’échange d’objets, de services et de savoirs, la valeur du don n’est pas comptabilisée en termes de qualification, mais en termes de temps accordé à ce service. Les SEL sont des communautés qui existent un peu partout en France. Une façon de remettre l’aspect humain, d’individu à individu, au centre des rapports sociaux. Le cas de la Grèce, qui est très bien connu de Jean-François Aupetitgendre, l’a fait réfléchir : « Les hôpitaux fonctionnent sur le bénévolat. Il y a une très forte solidarité. » Représentante de Gratiféria 34, Sarah Trabelsi a aussi à cœur de valoriser cette idée, et organise des zones de gratuité dans lesquelles, selon ses mots, « l’argent n’a pas de pouvoir. » Face à ces alternatives d’échanges, une question revient souvent : que se passe-t-il si une personne travaille moins que les autres ? Les invités de l’événement sont unanimes, le principe même de supprimer la monnaie implique de repenser la notion de valeur du travail. Par ailleurs, les expériences des uns et des autres semblent affirmer qu’un groupe humain, quand il se met en place, acquiert avec le temps un équilibre, comme tout système qui a pour volonté de fonctionner correctement. Sarah Trabelsi est catégorique : on nous garde dans l’illusion que l’argent peut satisfaire tous nos besoins. Ainsi, elle s’est posée la question : « De quoi j’ai vraiment besoin ? »
Une remise en question de notre mode de vie
Supprimer la monnaie, supprimer le gouvernement ? L’exemple de l’Islande a été évoqué, ainsi que les conditions difficiles qui sont celles de la vie actuelle des Islandais. Sans importation, les habitants de l’île qui n’est pas particulièrement favorable à l’agriculture se voient réduire, entre autres, la diversité de leur alimentation. Propos qui fait réagir Christian Sunt : « Je pense qu’on peut vivre harmonieusement dans l’écosystème dans lequel on est, comme le font 100% des espèces en dehors de nous. » Une perspective difficile à intégrer en plein essor de la mondialisation, mais qui est un aspect important du problème. Inévitablement, une société comme celle à laquelle croient les invités de ce débat impliquerait que la production locale retrouverait une place centrale dans l’économie, mais surtout que chacun fasse des concessions sur son propre mode de vie. A ce jour, l’argent permet de tout obtenir ; ainsi, on se procure ce qu’on a les moyens de se procurer, et non pas ce dont on a réellement besoin. Il est nécessaire, pour bifurquer vers une forme économique différente, de se questionner à ce sujet, et il est certain que le mode de consommation actuel se verrait entièrement renversé. L’excès est un risque qui taraude quand il s’agit de gratuité, mais les intervenants ont bon espoir qu’un groupe humain soit capable de se réguler de lui-même dans une telle situation.
Les monnaies locales, une alternative concrète
Daniel Berneron fait partie de l’association Adesl qui émet la monnaie complémentaire « La Graine ». Selon lui, les sociétés ont dans un premier temps utilisé la monnaie pour rémunérer des mercenaires, c’est à dire des aides extérieures étrangères et temporaire, à qui elles devaient permettre d’échanger ailleurs, bien après le service rendu. Peu après, la monnaie était, de façon locale, la suite logique de la dette. Les sociétés fonctionnant sur dettes mémorielles de services, ont dû un jour matérialiser ces dettes quand elles devenaient trop nombreuses et importantes. C’est ce système de dette, affirme-t-il, qui pose aujourd’hui problème. Le groupe ou l’individu qui émet une monnaie a automatiquement le pouvoir de décider à qui il juge légitime de la donner. Par ailleurs, quand le créateur met en circuit une monnaie, il récupère à la fin de la boucle la plus-value générée par les utilisateurs. C’est ce qui se passe, d’après Daniel Berneron et les autres, dans le système en place. La monnaie locale, ou complémentaire, ouvre la possibilité de voir différemment ce système. Lui et Christian Sunt sont favorables à une transition, un « pas de côté » passant par l’émission de ces monnaies locales. Néanmoins, elles sont difficiles à mettre en place, et surtout à faire accepter aux utilisateurs comme un véritable changement de la vie quotidienne.
Utopie ou avenir ?
Jean-François Aupetitgendre ne cache pas que pour lui, « une société sans argent paraît utopique, mais ce n’est pas utopique, c’est la réalité de demain. A l’inverse, croire qu’on peut avoir un capitalisme humain, croire qu’on peut moraliser l’argent, c’est une utopie. » L’idée que nous sommes au seuil d’un changement profond de l’ordre social, politique et économique se fait sentir chez les personnes présentes ici. « Il faut peut-être se préparer à l’après argent comme à l’après pétrole. »
La Gratiféria demeurera toute la semaine sur l’Ecosite, grande pelouse de la faculté de sciences. Vous pourrez y déposer ce dont vous n’avez plus l’utilité et récupérer ce qui vous intéresse. Une première forme de système de gratuité à échelle humaine, qui pourrait bien révolutionner tous les fondements de notre société.
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