Vivre au Petit-Bard
Très connu pour ses altercations policières, le Petit-Bard est stigmatisé par les violences physiques et morales. La vie de quartier mène pourtant bon train et constitue le quotidien de plus de 860 logements. Alors, quelle est la vie des personnes qui se cachent derrière les faits divers montpelliérains, accusées de constituer l’un des “ghettos” de la ville ?
Rachid Najid, porte-parole des rejetés
Parmi les finalistes du concours “Filme ton quartier”, organisé par France 3, Rachid Najid avait choisi d’y participer avec le Petit-Bard, son lieu de vie durant vingt ans.
À la Martelle depuis cinq ans, il a dû quitter le Petit-Bard avec sa famille, ce qui ne l’empêche pas de continuer à fréquenter le quartier. La tour H était connue pour son insalubrité et son non-respect des normes. Rachid se souvient y avoir vécu et avoir dû l’abandonnner avant sa destruction. Il est parti trois ans pour ses études et a passé une année à Casablanca où il a pu travailler dans son secteur, l’audiovisuel. Depuis son retour en France, il ne reconnaît pas son quartier, en chantier depuis des années. Le stade de foot où il avait l’habitude d’aller avec ses amis n’existe plus. Des bâtiments sont en construction, quand d’autres devraient encore être détruits.
Quant à Rachid, il ne travaille pas. Victime d’être l’enfant d’une cité, ses origines ne jouent pas en sa faveur. Pourtant, il se sent citoyen français. Montpellier est son berceau. Il aimerait pouvoir y rester. La frustration commence à le gagner, avec comme échappatoire retourner à Casablanca, où l’accès au travail lui est juste.

Crédits photos Rachid Najid
Souriant, plein d’entrain, Rachid ne se laisse pas abattre. Son futur est désormais soumis aux règles implicites qui régissent la banlieue. Trop souvent, les collégiens des cités sont directement orientés vers les voies professionnelles, où l’on pense que l’insertion sera plus facile. Peu de chances de pouvoir s’épanouir. En découlent une frustration et une colère que l’on retrouve dans les faits divers.
Bruno Bartocelli et sa vision sur le quartier
Ancien policier de la BAC, Bruno Bartocelli témoigne de la dureté à agir dans les cités, jugées difficile d’accès aux policiers. « Je connais les interventions évidemment, je suis intervenu dans d’autres endroits sensibles de France mais pas à Montpellier. » Maintenant à la tête d’un syndicat, il prend du recul sur la situation. Conscient que le mal ne concerne pas tout le quartier, il tient cependant à mettre en garde sur le communautarisme qui engendre les problèmes et la mauvaise réputation du Petit-Bard.
“Malheureusement, c’est l’image qui est donnée par un petit groupe. C’est vrai que quand on parle du Petit-Bard, nous policiers, on ne pense pas au bureau de tabac qui est ouvert à 19 heures… On a ce regard qui peut paraître négatif, alors qu’on n’a pas du tout un regard péjoratif sur la population du Petit-Bard.”

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Très médiatisé dernièrement, le quartier a fait parler de lui pour ses altercations avec la police, ainsi que pour des cas de violences, voire d’émeutes. Bruno regrette la disparition des polices de proximité qui permettaient un contact régulier avec la population et d’apprendre à connaître, à vivre avec les habitants du district. Depuis 2004, ils n’interviennent au Petit-Bard que lorsqu’on le leur demande ou qu’on les appelle. Un fossé s’est créé entre les Pergolais et les policiers, qui ne se connaissent pas et ne se comprennent plus. Leur visite est ressentie comme une agression. « Vous savez, le problème du Petit-Bard c’est sous forme de provocation. Dernièrement il y a eu une intervention sous fond sensible parce qu’une personne a refusé de se soumettre aux vérifications » explique Bruno. Vérifications dont les habitants n’ont pas l’habitude puisqu’elles n’interviennent que dans des cas particuliers.
“Des petites provocations peuvent parfois dégénérer, ça peut causer des émeutes et poser des difficultés aux policiers.”
Délaissé par les politiques, ce petit coin de Montpellier souffre d’une injustice certaine. Les jeunes revendiquent leur envie de travailler et peu d’employeurs leur laissent une chance de s’en sortir. Il est rare de s’intéresser à cet endroit pour ses commerces. L’architecture des immeubles met en avant le désintérêt municipal pour des locaux petits, enclavés et souvent insalubres. Locaux qui servent parfois à d’autres business illicites, qui alimentent eux aussi les clichés sur le secteur. « Au Petit-Bard, on sait qu’il y a un fond de drogues, il y a un petit commerce qui est fait là-bas, c’est pour cette raison qu’on peut intervenir d’une certaine façon, plutôt le matin à son domicile que le soir quand tout le monde est dehors. »
Un quotidien en voie d’amélioration

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Il en va de la réputation du Petit-Bard, de faire valoir ses ressources en dynamisant la vie de quartier pour les familles et les jeunes. Récemment médiatisées dans le cadre de la mixité sociale, les mamans du Petit-Bard ont fait parler d’elles en manifestant et en se rendant même sur les plateaux de télévision. Un militantisme important pour faire valoir leurs droits et leur mécontentement. Peu fréquenté par les « enfants européens », elles se battent pour davantage de petites têtes blondes en classe avec leurs enfants. Mais le changement n’est pas pour maintenant. Depuis la destruction de la tour H, les anciens locataires ont été relogés dans d’autres quartiers. Les travaux avancent lentement et ne prévoient pas, pour le moment, de “city stade” ou d’aire de jeux pour les jeunes.
Les anciens se plaignent d’une génération laissée pour compte, en laquelle ils n’ont plus d’espoir. Ils souhaitent tout miser sur les plus jeunes, qui peuvent encore faire changer les choses et ne pas reproduire les mêmes schémas. Le Petit-Bard ne se résume pas pour autant à un petit groupe de personnes qui ternissent son image. Bien loin des caméras se trament des projets visant à développer une jeunesse plus sereine et ouverte sur la société. La SERM, la Maison des Familles et de l’Enfant, l’association Justice pour le Petit-Bard, le FC Petit-Bard… Tous communiquent sur des valeurs communes que sont la solidarité, le respect et la mixité. « Il est important de regarder au-delà des clichés et d’attiser une curiosité de connaissance d’autrui. Les jeunes constituent les générations à venir, et il est important de pouvoir leur apporter un soutien. Qu’il s’agisse d’éducation ou de sport, on doit pouvoir les guider vers la voie qui leur correspond , témoigne le vice-président du FC Petit-Bard, M. Lmurabet.
La Maison des Familles et de l’Enfant accueille chaque jour de nouveaux visages en quête d’échanges et de solidarité. Elle est un pilier pour le quartier. Elle partage des principes et des projets visant à l’amélioration du climat social. Véronique Chausi, éducatrice pour jeunes enfants à l’agence départementale de la Solidarité Cévennes Las Rèbes, n’a pas souhaité répondre à nos questions, bien qu’elle lâche : « Il y a plein de choses positives à dire sur ce Petit-Bard. » Activités pour enfants ou en famille, cette maison est le moteur du quartier. Dans le but de changer sa réputation, elle promet un avenir meilleur à ceux qui veulent s’y investir.
Il en est de même pour l’imam de la mosquée, Si Ahmed Keddari, qui doit s’adapter à tous les fidèles qui fréquentent le lieu de culte. La mosquée Ibn Sina, située au cœur du quartier, est un lieu de rassemblement et d’échange qui procure du positif à toutes les générations : elle reste avant tout un endroit de prêches et de prières. Ce lieu de culte constitue un point de repère pour les jeunes qui se cherchent encore. Pour Nassim, la religion fait partie de la culture du quartier et l’aide à aller mieux : « Sans mosquée, je n’aurais nulle part où aller me repentir. Je me sentirais trop lourd, surtout avec tout ce qui se passe ici, on a besoin de souffler. »

http://www.footofeminin.fr/Credit-Agricole-Mozaic-Foot-Challenge-Le-FC-MONTPELLIER-PETIT-BARD-d-attaque-pour-la-fin-de-saison_a10791.html
Quant au FC Petit-Bard, il accomplit des miracles avec les jeunes. Le vice-président du club, M. Lmurabet, témoigne des difficultés qu’il rencontre à entraîner les joueurs habitués aux lois du district. Tous bénévoles, les entraîneurs et médiateurs sociaux s’occupent des entraînements et des matchs. Ils dynamisent la vie de quartier et agrémentent un loisir qui resserrent les liens sociaux. Ainsi, les violences tendraient à diminuer et les jeunes extériorisent au travers du sport. De son côté, Unis-cité propose un service civique au Petit-Bard. Une véritable volonté de brassage social et d’ouverture à l’autre qui initie le quartier aux bases de l’écologie avec le projet Médiaterre.
Les personnes les plus pauvres représentent une majorité quand il s’agit de précarité énergétique. Et pourtant, peu de campagnes de communication pour interpeller sur l’écologie s’adressent aux foyers modestes. Sensibiliser les familles, mais aussi les accompagner vers l’apprentissage de nouveaux gestes écocitoyens constituent les missions principales des équipes au Petit-Bard. D’autres projets similaires trouvent leur place dans le quartier, avec par exemple « Néo-citoyen » qui vise à faire vivre aux enfants une citoyenneté active au quotidien.
Entre réputation et réalité, la limite est parfois mince mais ne concerne pas une majorité. Le Petit-Bard va encore connaître de grands changements, tant matériels que sociaux. Il semble pourtant que le plus important est de combattre le renfermement de ces quartiers, trop souvent abandonnés et oubliés par les politiques en place. L’espoir de lendemains meilleurs est maintenant entre les mains d’une jeunesse en voie de construction, aidée par l’humanisme des associations actives dans le quartier.
Crédits photos de Une: http://www.serm-petitbard.fr/-Galerie-photos-.html