Fiscalité locale et CFE : une difficile histoire de Moure
Novembre 2012. Les patrons de petites entreprises de Montpellier lancent une fronde contre l’augmentation de la Cotisation Foncière des Entreprises. Dans le viseur des contestataires : l’Agglomération et son président, Jean-Pierre Moure. Une mobilisation qui a inévitablement ébranlé le candidat socialiste, même si celui-ci brandit désormais son effort de négociation comme une arme de campagne. Quel rôle la fiscalité des entreprises et le combat anti-CFE s’apprêtent-ils à jouer lors du combat des municipales les 23 et 30 mars ? Retour sur une affaire dont l’enrobage technique ne doit pas faire oublier les nombreux enjeux politiques. Accrochez-vous quand même !
C’est une des attaques préférées des adversaires de Jean-Pierre Moure : la responsabilité du président de l’Agglomération de Montpellier dans l’augmentation de la cotisation foncière des entreprises (CFE). Cet impôt a donc, avec la cotisation sur la valeur ajoutée, remplacé la taxe professionnelle, supprimée en 2010. Or, il s’est retrouvé considérablement augmenté, multiplié jusqu’à sept pour certains artisans et commerçants de l’agglomération à l’automne 2012. En quelques jours, les victimes de cette hausse se mobilisent, aidés par deux acteurs habitués des luttes contre les pouvoirs locaux : Jean-Pierre Touchat, président du Syndicat des Halles et Marchés qui regroupe 340 adhérents, et Alain Simon, président de la fédération des commerçants et contribuables du grand Montpellier (Faduc). Pour eux, l’ennemi s’appelle Jean-Pierre Moure. En tant que président de l’Agglomération, il a validé la délibération communautaire du 29 septembre 2011 qui a augmenté les bases minimales d’imposition de CFE pour les entreprises (et non le taux d’imposition resté identique depuis 2011). Le 15 novembre 2012, près de 500 contribuables se rendent devant l’hôtel d’Agglomération, affichent leur vive hostilité à Jean-Pierre Moure et promettent de ne pas l’oublier pour les élections municipales…
Une revendication matérielle… aux enjeux très politiques
En bien mauvaise posture, le socialiste doit encaisser les coups. Peu sont là pour l’aider à sauver sa peau. Cet épisode est même une occasion rêvée pour déstabiliser le candidat pressenti aux municipales. Philippe Saurel, encore au Parti socialiste à ce moment-là, n’hésite pas à tacler son « camarade » : « Il faut entendre leurs revendications [ndlr : des manifestants] et revenir à une gestion plus rigoureuse et réaliste de notre communauté d’agglomération. » France Jamet, future candidate du Front national à la Mairie de Montpellier, se joint même aux commerçants devant l’hôtel d’Agglomération le 15 novembre. Sans oublier Olivier Taoumi, avocat de Jean-Pierre Touchat, et de nombreux contribuables qui organisent l’action juridique du collectif anti-CFE. Derrière sa robe d’avocat, Maître Taoumi joue également dans la cour politique — et il ne s’en cache pas — en tant que membre de l’UDI et possible figure de troisième larron montpelliérain pour le parti centriste après Joseph Francis et Anne Brissaud. En bref, si cette fronde anti-CFE est bien née sur une revendication fiscale, elle doit son ampleur et son succès aux enjeux purement politiques et partisans qui en découlent.

L’hôtel d’Agglo, lieu de ralliement des anti-CFE (Crédit photo : © Arnaud Huc)
Moure, seul coupable ?
Le président d’Agglomération a surtout pâti d’une grosse faute de timing. La contestation anti-CFE intervient quelques semaines seulement après le lancement par l’Agglo de la très coûteuse [1] campagne de communication « Montpellier Unlimited » visant à vanter le dynamisme économique du territoire. Alors forcément, pour certains artisans, commerçants et chefs d’entreprise, le lien est vite trouvé : l’augmentation de la CFE sert à financer les intérêts de Moure.
Très rapidement, Moure devient donc l’ennemi des entrepreneurs. Même si le maire de Cournonsec n’est pas l’unique coupable de l’augmentation de la CFE. Beaucoup semblent en effet oublier que le conseil d’Agglomération du 29 septembre 2011 a voté, à la quasi-unanimité, le changement de base minimale à laquelle sont soumises certaines entreprises [2]. Seuls deux élus communautaires se sont opposés à cette délibération : Michèle Cassar et Marc Gervais, respectivement maire et conseiller municipal de Pignan. À noter par ailleurs la posture étonnante de Philippe Saurel, présent à ce conseil d’Agglomération, qui a expliqué être absent au moment du vote alors même qu’il n’y a eu aucune abstention. Comme souvent, les affaires sont bien plus complexes que l’on peut nous les présenter.
Faire porter le chapeau à Bercy
Moure, coupable désigné, a dû trouver comment se sortir de ce bourbier. En matière de défense, le politicien a usé de trois stratégies : le mea culpa, la proposition de mesures et la mise en cause de Nicolas Sarkozy, à l’origine de la suppression de la taxe professionnelle. Autant dire que la première technique n’a pas calmé une seconde le collectif anti-CFE. La deuxième, symbolisée par la déclaration « Les commerçants n’auront pas à payer plus qu’en 2011 », aurait pu faire mouche. Mais le conseiller municipal grabellois Pascal Heymes, également consultant en finances publiques locales et acteur central dans le collectif anti-CFE, s’est bien tâché de mettre en garde les contribuables sur la faisabilité de cette mesure. En effet, si le taux d’imposition de CFE et le montant des bases minimales relèvent des compétences de l’Agglo, celle-ci ne peut pas décider sans l’aval du ministère des Finances d’un dégrèvement ou d’une annulation de rôle d’imposition. D’une certaine manière, le destin de Jean-Pierre Moure se retrouve entre les mains de Jérôme Cahuzac, patron de Bercy à l’époque.
Grâce au député héraultais Christian Assaf, intermédiaire entre le local et le national, la CFE arrive aux portes de Paris. D’autant plus que Montpellier n’est pas la seule agglomération à se plaindre du coût de la CFE : de nombreuses autres villes sont confrontées à son augmentation. Les syndicats de défense des entreprises (CGPME, Medef) ainsi que les associations de collectivités territoriales (Assemblée des Communautés de France, Association des Maires de France) interpellent donc le gouvernement Ayrault. Voici la cotisation foncière des entreprises sur les bancs de l’Assemblée nationale. L’exécutif et les parlementaires se penchent sur les dysfonctionnements de cette taxe, héritée de la présidence Sarkozy. L’action nationale contre la CFE a habilement permis à Moure de transférer la responsabilité de l’affaire vers le pouvoir central. Mieux, le candidat socialiste se congratule aujourd’hui d’avoir été ce petit élu de province venu à Paris pour régler directement les problèmes et en fait une arme de campagne. Alors, gagnant ou pas Jean-Pierre Moure ?

Jean-Pierre Moure en campagne pour l’Hôtel de ville (Crédit photo : © Arnaud Huc)
Un budget… et une image qui s’effritent
Pas tant que ça, en fait. Notamment en raison du coût de la résolution du conflit. En effet, la loi de finances rectificatives du 29 décembre 2012 autorise les agglomérations à rembourser tout ou une partie du surplus de CFE aux assujettis à la base minimum. Montpellier Agglo fait le choix de prendre en charge intégralement la différence entre 2011 et 2012. Coût de l’opération : 17,9 millions d’euros, c’est-à-dire 30 % de pertes sur les recettes de CFE initialement attendues. Deuxièmement, cette solution n’a pas entièrement calmé le collectif anti-CFE et Olivier Taoumi en particulier, qui protestent contre l’augmentation de CFE — malgré la prise en charge de l’agglo — pour certaines entreprises. Ce sont en fait les parts de CFE qui reviennent aux chambres consulaires (Chambre de Commerce et d’Industrie, Chambre des Métiers) ainsi que les frais de gestion de l’Etat qui n’ont pu être recalculés et qui expliquent cette hausse — bien plus modeste toutefois.
Une chose est sûre : et épisode demeure un vrai boulet pour Jean-Pierre Moure, quoi qu’il en dise. Un sondage réalisé par l’IFOP le 14 janvier nous apprenait que la fiscalité locale était la préoccupation numéro un des électeurs pour les municipales. Montpellier est d’ailleurs reconnue pour être l’une des villes où la fiscalité locale des ménages (taxe d’habitation, taxe sur foncier bâti et non bâti) est l’une des plus lourdes de France (ce que rappelait Anne Brissaud). Nul doute que dans ce contexte, présenter un CV qui affiche une augmentation de la fiscalité des entreprises ne soit pas un avantage…
[1] Le coût de l’opération fait polémique. Il est annoncé à 625 000 euros par l’Agglomération mais certains journalistes et adversaires politiques parlent de 5 millions d’euros.
[2] La CFE est calculée sur la valeur locative des locaux de l’entreprise. Mais, si celle-ci est inférieure à la base minimale d’imposition décidée par l’agglomération, le taux d’imposition (36,58%) s’applique alors sur cette base. En l’occurrence, le 29 septembre 2011 la base minimale d’imposition a été relevée à 2030 euros pour les entreprises au chiffre d’affaires inférieur à 100 000 euros, et à 6000 euros pour celles qui ont plus de 100 000 euros de chiffre d’affaires.
(Crédit photo de Une : © Midi Libre)