L’article 49-3 provoque le soulèvement des montpelliérains

Moment de tension entre manifestants et les forces de l’ordre lors de la manifestation spontanée contre suite à l’utilisation du 49-3 © Fessoil Abdou
Ce Mardi 10 mai plus de 150 manifestants arpentent les rues de Montpellier pour revendiquer leur mécontentement face à l’utilisation de l’article 49-3 par le premier ministre Manuel Valls. Ce passage en force du gouvernement montre sa fragilité et son renoncement à choisir la voix parlementaire pour faire appliquer la « loi travail El Khomri ». Mais les mouvements de protestations perdurent.
Montpellier toujours debout : « La loi travail à la ferraille ! »

Les manifestants à la rue de loge, toujours aussi déterminés à protester contre le 49-3 malgré la pluie © Julien Mora
Le samedi 9 avril 2016, Montpellier rejoignait le mouvement « Nuit debout » pour manifester contre la « loi travail » proposée par le gouvernement socialiste. Après plus d’un mois de revendications intensives dans toutes les rues de France, Manuel Valls a décidé le Mardi 10 mai, suite à la délibération du conseil des ministres, de faire appel à l’article 49-3 face aux désaccords au sein de l’Assemblée nationale. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase. En réponse au choix du gouvernement de « passer en force », une manifestation spontanée a pris place dans le centre de Montpellier, comme dans de nombreuses villes en France. D’autres mouvements de contestations sont à prévoir pour les jours à venir.
Mais qu’est-ce que l’article 49-3 ?
Déjà utilisé à trois reprises par le gouvernement en 2015 concernant la « loi Macron », l’article 49-3 a fait beaucoup parler de lui ces derniers temps. Pourtant il ne date pas d’hier et remonte à la constitution de 1958 : « Le premier ministre peut, après délibération du conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une mention de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »
Concrètement, le premier ministre, après délibération avec son conseil, peut recourir à cet article pour faire adopter une loi sans passer par le parlement, et notamment quand son gouvernement n’a pas la majorité au sein de l’Assemblée. Au départ, ceci devait permettre, sous la IVème République, de faire passer plus rapidement des lois jugées urgentes sans que les négociations s’éternisent au sein du parlement. La Vème République confortera ce cheminement de pensée en mettant en place un véritable régime présidentialiste, notamment sous le Général De Gaulle, au détriment du pouvoir parlementaire.
« Le 49-3 est une brutalité, c’est un déni de la démocratie »
Cette phrase prononcée par François Hollande en 2006 peut paraître paradoxale aujourd’hui. Avant son arrivée à l’Elysée, le chef de l’Etat s’opposait fermement à cette procédure qui permet à une loi d’être adoptée sans le vote du parlement. Les choses ont bien changé depuis. Utilisé à quatre reprises durant ce mandat, le 49-3 est devenu une véritable arme d’imposition pour le gouvernement en place. Mais comment cela s’explique-t-il ? Tout d’abord il est important de rappeler que cet article constitutionnel a été mobilisé plus de 84 fois par les premiers ministres depuis sa création en 1958; 32 fois par la droite et 52 fois par la gauche. Mais le premier ministre qui remporte la palme d’or à ce sujet est Michel Rocard, sous la présidence de François Mitterrand, qui a utilisé plus de 28 fois le recours au 49-3 de 1988 à 1991.
Aujourd’hui, c’est Manuel Valls qui a perdu sa majorité au sein du parlement avec l’émergence des frondeurs socialistes qui ne se reconnaissent plus dans la politique menée par François Hollande, jugée trop libérale. Cela a commencé dès 2012 avec le pacte budgétaire européen où le chef de l’Etat n’a pas tenu ses promesses de campagne et se mit alors à dos un certain nombre de députés socialistes. Cela a continué en 2014 avec la nomination de Manuel Valls comme premier ministre qui ne faisait pas l’unanimité au sein du PS. Notamment avec la « loi Macron » en 2015, qui a renforcé le mécontentement des frondeurs et oblige le gouvernement Valls à recourir pour la première fois au 49-3 faute de majorité parlementaire.
En 2016 la politique du président, notamment avec la « loi travail El Khomri », ne satisfait toujours pas les frondeurs qui sont bien décidés à se faire entendre face à l’utilisation pour la quatrième fois du 49-3. Même si les députés de gauche ont échoué dans le dépôt d’une « motion de censure » avec 56 signatures (le minimum étant de 58), ce qui est tout de même remarquable, la droite y est parvenue et « la motion de censure » des Républicains et de l’UDI etait examinée ce jeudi 12 mai à 16h. Résultat : seulement 246 députés ont voté la “motion de censure”, loin des 288 nécessaires. Le projet de loi El Khomri est donc adopté en première lecture. .

Premier moment de tension entre manifestants et forces de l’ordre à la manifestation du 10 mai © Fessoil Abdou
Quelle place pour la démocratie participative et représentative ?
Le parlement, censé représenter le peuple et les citoyens mobilisés depuis plus d’un mois dans les rues de France ont du mal à se faire entendre. Le dialogue est rompu et le pouvoir prend une forme de plus en plus verticale. La participation citoyenne, pourtant saluée par les hommes actuellement au pouvoir, n’est plus prise en compte. Avec ce « passage en force » du gouvernement, les français ne se sentent pas écoutés et parfois, malheureusement, recourent à la force. Cette soirée du 10 mai, avec plusieurs mairies vandalisées ou actes de violences dans certaines villes du pays, est le signe d’un pays en pleine crise politique. Pourtant ces regroupements spontanés devraient être synonymes de dialogue social où les citoyens, ensemble, se battent pacifiquement pour une cause qu’ils considèrent juste. Mais entre incompréhension et sentiment d’exclusion dans la prise de décision, chacun tente de se faire entendre et certain en arrive à la violence, reproduisant ainsi ce qu’ils reprochent au gouvernement : « passer en force ». Montpellier aussi fut l’œuvre de plusieurs affrontements entre la BAC et les manifestants durant cette soirée. Les jours à venir laissent présager d’autres soulèvements citoyens, que ce soit à Montpellier comme ailleurs, en réponse à cette « loi travail » rejetée par la majorité des français. Si la voix démocratique doit être portée par le bas, faisons en sorte qu’elle soit portée dignement et pacifiquement.