Le BDS France 34,
Samedi 17 octobre, le comité BDS France 34 (Boycott Désinvestissement Sanctions) organisait une manifestation sur la place de la Comédie pour défendre la liberté d’expression. Polémique : la police intervient avec virulence pour tenter de démonter le chapiteau. Le conflit israélo-palestinien continue d’animer le débat public et médiatique. À l’occasion de la semaine de la Palestine en octobre 2014, Le Nouveau Montpellier avait cherché à comprendre les revendications du BDS, qui n’était pas partie intégrante de l’événement institutionnel. José Moraguès, porte-parole du BDS France 34, avait accepté de nous recevoir dans leurs locaux pour donner son point de vue sur la situation en Palestine et sur les actions locales que mène le BDS 34. Ce comité créé en 2009 réclame une justice internationale de manière pacifique et souhaite l’application du droit. Une interview qui éclaire sur les positions du BDS qui restent inchangées un an plus tard.
Le Nouveau Montpellier : Quel est votre rôle dans ce comité ?
José Moraguès : C’est une association de fait, qui n’est pas déclarée en préfecture parce qu’on ne voulait pas tomber dans les travers du fonctionnement traditionnel des associations. Un président, un trésorier, un conseil d’administration qui au final n’est qu’un moyen de contrôle des uns et des autres et qui n’est pas très efficace pour les initiatives. Chez nous, il y a des groupes de travail, avec un responsable de groupes de travail. Les groupes de travail présentent leur projet à la réunion plénière du lundi et c’est là qu’on adopte ou pas les décisions. Il n’y a jamais de vote, on travaille au consensus. Si on n’est pas d’accord, on ne prend pas de décision et on continue à réfléchir. On apprend à être président de séance, à faire des comptes-rendus. Notre activité principale, c’est les actions de boycott contre Israël. C’est un fonctionnement horizontal, avec une répartition maximum des responsabilités sur des tâches.
Et au niveau du financement ?
On vit des collectes, c’est tout. On fait des stands sur la place de la Comédie et on a des boites pour les collectes. On vend des t-shirts avec des petites marges. L’essentiel ce sont les dons des gens.
Quelles sont les actions que vous allez faire pour la semaine de la Palestine ?
Qu’on soit d’accord, c’est une manifestation pour l’association Palestine 34. Ce sont eux qui organisent cette semaine-là. C’est une décision locale. Nous ne sommes pas membres du collectif Palestine 34. Nous ne sommes pas directement concernés par cette semaine d’activités.
Vous êtes en relation avec eux ?
Très peu… Il faudrait expliquer beaucoup de choses. Mais il y a deux courants de solidarité à la Palestine. Un courant très institutionnel, qui cherche un travail avec les institutions et en quelque sorte reconnaît l’existence de l’Etat d’Israël. Ce courant développe surtout un travail pour institutionnaliser les rapports avec les Palestiniens. C’est d’ailleurs pour ça qu’ils invitent un ambassadeur palestinien, qu’ils vont nous présenter les élus locaux, des activités culturelles, etc… C’est en rapport avec le gouvernement actuel. Nous, nous sommes sur un autre type d’activités.
On appelle à des revendications fondamentales plutôt qu’à des négociations sur un Etat palestinien, avec telle frontière pour l’un, telle frontière pour l’autre. On manifeste pour le droit.
Depuis 2005, il y a tout une frange de la société civile palestinienne qui a lancé un appel à boycotter Israël sur tous les fronts. Cet appel est signé de 172 organisations palestiniennes qui rassemblent tous les courants politiques, religieux, philosophiques. Toutes les composantes du peuple palestinien, c’est ça le plus important. Comme les organisations de réfugiés, vous savez qu’il y a un bon nombre de réfugiés palestiniens en Cisjordanie ou à Gaza. Gaza c’est 70% des réfugiés, c’est-à-dire des gens qui ont été chassés de la Palestine au moment où Israël s’est créé et qui ne peuvent pas rentrer chez eux. La troisième composante du peuple palestinien, ce sont les Palestiniens d’Israël, ceux qui ne sont pas partis en 1948 et qui sont discriminés, qui n’ont pas les mêmes droits . Nous, on est beaucoup plus sensible à ce courant-là de la société civile, qui appelle à des revendications fondamentales plutôt qu’à des négociations sur un Etat palestinien, avec telle frontière pour l’un, telle frontière pour l’autre. On manifeste pour le droit.
Vous n’avez aucun soutien politique ?
Si. On a un 4 pages qui présente la campagne BDS France. Il y a environ 45 organisations nationales qui l’ont signé. Le PG, le NPA, Ensemble, les Alternatifs, Solidaire Sud qui a signé aussi. Ensuite il y a aussi des associations comme l’Union Juive pour la Paix. Ils ont signé leur accord pour l’appel palestinien.
Comment évaluez-vous vos actions localement ? Quels sont les impacts ?
Nous, on fait partie d’un ensemble. C’est une campagne internationale donc on n’a pas forcément de résultats tout seul. Mais ici à Montpellier par exemple, en 2009 on a lancé le boycott de l’entreprise Agrexco. C’était Georges Frêche à l’époque qui avait décidé de faire venir deux bateaux d’Agrexco qui étaient la principale entreprise agroalimentaire pour exporter des fruits et légumes. On a mené toute une bataille. D’abord Montpellier et ensuite sur toute la région. Ensuite, c’est passé national pour finir à l’échelle européenne.
En 2011, il y a eu un forum européen avec neuf pays représentés contre Agrexco. Le tribunal de Tel Aviv a prononcé la liquidation de l’entreprise. C’est l’exemple d’une action que nous avons mené localement, et qui a été réussie. Actuellement, on évalue l’impact sur Sodastream. C’est un gazificateur dans les grandes surfaces qui injecte du gaz carbonique dans les sodas. Il y a eu toute une campagne de boycott contre Sodastream qui a fait scandale parce que Scarlett Johansson était l’ambassadrice d’Oxfam. Elle s’est mise à faire de la pub pour Sodastream. Oxfam, à la demande des Palestiniens, a signalé le problème et l’incohérence de cette pub avec les valeurs d’Oxfam. Vous ne pouvez pas faire de la pub pour Sodastream qui travaille dans les colonies en Palestine, et être en même temps aux côtés des Palestiniens pour aider aux semences… Elle a abandonné Oxfam et a préféré l’argent de Sodastream. Cette entreprise a perdu 20% de son chiffre d’affaires depuis cette histoire.
Il y a tout un travail à faire avec les médias pour attaquer certaines entreprises, en expliquant comment elles arrivent à faire des prix aussi bas.
Ensuite, il y a eu aussi le festival d’Angoulême qui avait pris comme sponsor Sodastream. On a contacté un certain nombre de dessinateurs dont Tardy et Siné. Il y a eu 90 dessinateurs de différents pays qui ont écrit une lettre pour que Sodastream ne soit pas le sponsor de l’édition suivante. Ce qui a aussi fait beaucoup de dégâts. Il y a tout un travail à faire avec les médias pour attaquer certaines entreprises, en expliquant comment elles arrivent à faire des prix aussi bas. Ils volent les terres palestiniennes, ils volent l’eau et ensuite ils embauchent des Palestiniens pour travailler sur leur propre terre. On dénonce aussi le coût énergétique des transports de ces produits, par avion, par bateau… D’un point de vue écologique, c’est un contresens.
Comment informez-vous sur tous ces sujets ?
On convoque la presse écrite, radio et télévisée quand on fait des actions. Par exemple, on a occupé fin août 2014 le local du Parti socialiste, parce qu’on considérait que les positions des socialistes comme le Président Hollande et le Premier Ministre Manuel Valls étaient scandaleuses. Donc on a fait venir les médias pour se faire entendre comme les médias locaux France 3 et Midi Libre. Après, ce lundi-là (ndlr, début octobre 2014), on était à Carpentras pour une action de boycott culturel contre le quatrième festival de cinéma israélien. C’était une soirée d’inauguration en présence du consul d’Israël. On était une soixantaine avec les membres du BDS de Nîmes, de Montpellier… On a réussi à rentrer, et nous sommes intervenus pour dénoncer la présence de ce consul qui était présent après 50 jours de bombardements tuant 1200 personnes dont 570 enfants. On ne voulait pas d’un représentant de cet Etat criminel.
Mais bien sûr qu’on peut s’entendre ! Qui est-ce qui peut penser ça ? On ne peut pas s’entendre actuellement parce qu’il y a une occupation, l’emprisonnement, des assassinats ciblés.
Le tribunal Russell, qui s’était créé dans les années 70 avec Sartre, vient de se réunir récemment avec des juristes internationaux, après deux jours de travaux. La dernière fois c’était au Cap, en Afrique du sud. Ils ont décrété qu’il y avait incitation au génocide à propos de l’agression contre Gaza. Ce n’est pas un génocide, mais on y est presque. On ne peut pas accepter que le représentant d’un Etat criminel vienne présenter un film de ce type. On n’avait rien contre le film, mais dès lors que le consul est là, c’est une opération de propagande. Ils avaient choisi un film où la réalisatrice met justement en scène un danseur de salon qui réunit des enfants palestiniens et israéliens pour danser ensemble. « Regardez, on peut s’entendre ! » Mais bien sûr qu’on peut s’entendre ! Qui est-ce qui peut penser ça ? On ne peut pas s’entendre actuellement parce qu’il y a une occupation, l’emprisonnement, des assassinats ciblés. On ne peut pas s’entendre avec son oppresseur. Donc on a dénoncé cette opération politique.
Est-ce que ce genre d’actions fonctionne ? Personne n’appelle la police si vous gênez ?
Il y a eu quelques procès qui ont été perdus. Le CRIF et les associations pro-israeliennes se sont emparés de cette affaire pour faire considérer d’un point de vue juridique que le boycott était une incitation à la haine raciale, à la haine d’un peuple. Deux procès ont été perdus et trois autres ont été gagnés. Ce risque-là, c’est une question de rapport de forces. Si l’Etat voit qu’on est dangereux, à la fois ils évitent de nous sanctionner, ou bien au contraire il va nous sanctionner pour essayer de nous ralentir. C’est pas possible… C’est un mouvement international ! Il n’y a qu’en France et en Israël où il y a eu l’usage de lois en vue de pénaliser et donc de criminaliser les mouvements qui défendent la Palestine. On n’a pas peur de ça. C’est pas un problème.
Est-ce que vous avez des problèmes quand vous annoncez ces messages sur les lieux publics ?
Dans les grandes surfaces, il y a des réactions racistes car il y a beaucoup de jeunes français et françaises arabes. Les gens voient des arabes, des femmes voilées, et on a des réactions du style « Rentrez chez vous ! Vous n’êtes pas d’ici ! » Alors qu’ils sont nés ici… Moi je suis né en Espagne, et ils sont plus Français que moi (rires) ! Mais on se forme, si vous voulez. On se forme pour ne pas réagir.
Nous sommes totalement pacifiques. Il n’y a d’ailleurs jamais eu d’incidents.
Nous sommes un mouvement non-violent, tout à fait respectueux du droit, puisqu’on veut l’application du droit. C’est nous-mêmes qui exigeons l’application du droit, donc on se doit d’être rigoureux. On souhaite que des sanctions soient prises. On est tout à fait à notre aise là-dedans. Nous sommes totalement pacifiques. Il n’y a d’ailleurs jamais eu d’incidents. Pendant l’agression en juillet et en août, on a été à l’initiative de neuf manifestations ici à Montpellier, avec 2000-3000 personnes à chaque fois et il n’y a eu aucun incident. Même dans les grandes surfaces, ils nous connaissent. C’est même nous qui appelons la police pour leur dire que nous sommes sur place. Ils n’envoient même plus les policiers en tenue. Les gens savent que c’est une cause tout à fait légitime.
Quels sont les profils de vos militants ?
Cela varie selon l’actualité. Grosso modo, il y a deux courants. Le premier est plus historique et ancien, ce sont des gens de mon âge, de 50 à 60 ans, « des français de teint » comme on dit. Il y a très peu de Français musulmans. L’autre courant est surtout composé de Français musulman, avec beaucoup de jeunes de 20 à 27 ans.
Comment jugez-vous la manière dont sont présentés les manifestants pour la Palestine dans les médias ?
On nous présente comme des extrémistes, je suppose, des gens qui ne veulent pas la paix. Mais les discours de la paix sont totalement mystificateurs. Il ne peut pas y avoir de paix sans justice. Lundi, le consul israélien est venu tenir un discours de paix à Avignon alors qu’il y a des massacres actuellement. Dans la fiction Palestiniens et Israéliens dansent ensemble, mais dans la réalité ils envoient des bombes et tuent des milliers de personnes. Nous on n’est pas pour la paix, on est pour la justice. S’il y a la justice, il y a la paix. En tout cas, il y a un grand courant de sympathie pour le mouvement Boycott Israël, parce que les gens voient bien ce qu’il se passe. Et puis il y a aussi pleins d’Israéliens connus qui prennent position avec nous et qui dénoncent les crimes de cet Etat. L’appel des Palestiniens a été lancé en 2005. Il a fallu attendre cinq ans, au moment de l’agression contre Gaza en 2009 avant la création du comité. On a énormément avancé depuis. Le nombre de victoires qu’on a obtenues contre Israël est conséquent. Des chanteurs ou des cinéastes qui ne veulent pas aller dans certains festivals… Ce boycott s’est développé sur tous les fronts.
Du coup, vous trouvez que ça progresse ?
Ah oui ! Depuis que je suis allé en Palestine la première fois en 2001, ce que j’ai vu là-bas, c’était incroyable de barbarie et d’oppression. Depuis que je suis revenu, j’en ai fait mon activité militante principale. Vraiment, je vois le changement. Jusqu’à ce qu’on prenne le boycott en main, on était sur la défensive en permanence. Sans arrêt on courait après les dégâts causés par Israël. C’est Israël qui était à l’initiative, mais on ne faisait que dénoncer. Le mur, ils ont continué à le faire, ils ne l’ont pas démoli. On dénonçait l’emprisonnement, maintenant c’est nous qui attaquons avec le BDS. Toujours pacifiquement, mais c’est nous qui dénonçons de cesser le commerce et qui obtenons des résultats. Moi je suis enthousiasmé depuis ces trois ou quatre ans de BDS, parce que tout a changé entre ce qu’on faisait avant et ce qu’on fait maintenant. C’est un changement radical.
Comment voyez-vous la position du gouvernement ?
Le Parti socialiste a une tradition de soutien au sionisme. Il y a beaucoup de Juifs sionistes qui ont soutenu cela. Israël a réussi à obtenir la bombe atomique sous Charles De Gaulle. Et puis après, c’est une histoire de libéralisme et de capitalisme.
Pour nous, ce n’est pas une question de complot où les Juifs sont les maîtres du monde, on combat ce genre de théories absurdes et antisémites. Mais il y a des connivences et des intérêts communs entre capitalistes et colonialistes.
Pour Sarkozy et les autres, c’est un pays qui permet des échanges économiques. C’est une alliance entre libéralistes. Pour nous, ce n’est pas une question de complot où les Juifs sont les maîtres du monde, on combat ce genre de théories absurdes et antisémites. Mais il y a des connivences et des intérêts communs entre capitalistes et colonialistes. Le Parti socialiste s’est illustré par des intentions colonialistes depuis qu’il existe, comme François Mitterand pendant la guerre d’Algérie. Bien sûr, on peut mettre en avant le fait que Valls se vante d’être lié éternellement à Israël par sa femme, ou même Hollande lorsqu’il a été invité à un banquet privé avec Benjamin Netanyahou (premier Ministre d’Israël). Il a bien dit : « Il y aura toujours un chant d’amour pour Israël et ses dirigeants. » Franchement, c’est du délire. Bon, ça c’est de l’anecdotique. Le fond, ce sont les alliances économiques et la vision du monde de ces gens-là. Le problème, c’est qu’on se retrouve avec des gens qui vivent ici en France, et qui écrivent sur la situation là-bas. Donc ils passent à côté de beaucoup de choses.
Très bon article sur le BDS France 34
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