Comte-Sponville : Leçon de philosophie au Forum Libération
Le Forum intitulé « Le corps, quel engin ! » et organisé par Libération se tient du vendredi 8 au samedi 9 novembre au Corum de Montpellier. Sans surprise, Le Nouveau Montpellier y roule sa bosse.
C’est au philosophe André Comte-Sponville, accompagné du journaliste à Libération Robert Maggiori, que l’honneur d’inaugurer ce colloque est revenu. En préambule de cette première rencontre censée aider à appréhender le corps et l’âme s’est tenue la très solennelle séance d’ouverture du Forum Libération, animée quant à elle par Pierre Hivernat (Directeur du développement à Libération), Michel Miaille (Président du Conseil d’administration de Montpellier Danse) et Jean-Pierre Moure (Président de l’Agglomération de Montpellier).
Si Pierre Hivernat a été bref et s’est contenté des habituels remerciements, il a néanmoins souligné que ce premier Forum à Montpellier avait été organisé d’une main de maître grâce au concours de l’Agglomération et de l’institution Montpellier Danse, mais aussi de l’Université Montpellier 1 et plus particulièrement des étudiants du Master 2 Métiers du journalisme. Michel Miaille est quant à lui revenu sur le thème choisi : le corps.
Thème remis au goût du jour par le programme des Amis du Musée Fabre ou, à l’échelle nationale, par le dernier numéro de la Revue de philosophie avec un dossier intitulé « Qui est mon corps ? ». Selon lui « nous n’avons pas un corps séparé de notre esprit » et la danse en est le meilleur exemple. Cet art place le corps en outil, contrairement aux autres (sculpture, peinture…) qui en font la représentation. Quant à Jean Pierre Moure, il a exprimé son honneur de représenter la ville hôte d’un Forum dirigé par un journal national de cette envergure et a souligné le fait que « l’évidence du choix de Montpellier est évidente », compte tenu des divers domaines mettant le corps au centre – dont la ville se fait l’étendard – et des personnages célèbres qui jalonnent son histoire : du joueur de football Younès Belhanda jusqu’au médecin Nostradamus.
Et c’est devant une salle comble, dans laquelle les retardataires seront contraints de s’installer sur les marches entre les rangées, que démarre cette conférence aux airs de conversation entre amis.

André Comte-Sponville et Robert Maggioro pour le Forum Libération (crédit photo : © Mathilde Bergon)
Amateurs de philosophie – l’accent est à mettre ici sur le mot « amateur », nous n’essaierons pas ici d’apporter une critique de la thèse du philosophe mais de l’expliciter, .
André Comte-Sponville se décrit à la fois comme un matérialiste au sens d’Épicure et un rationaliste selon la philosophie spinoziste. À ses yeux, cela signifie que « tout ce qui existe, pour moi comme pour Épicure, est matière ou produit de la matière ». Ainsi, il ne possède pas un corps maisil est son corps. Quant au rationalisme, « tout pour moi comme pour Spinoza est rationnel », explique-t-il.
En partant de cela, il nous donne une définition du corps plutôt simple voire simpliste, « quelque chose dont on ne peut pas faire le tour n’est pas un corps ». Le corps doit donc être fini, solide, au sens de matière agrégée dont toutes les parties se tiennent. Pourtant, il reste difficile à circonscrire, entre son environnement immédiat et ses sens. Et reprenant Saint Augustin, il déclare que « quand personne ne me demande ce qu’est le corps, je le sais et, quand on me le demande, je ne sais plus ».
Il n’en reste pas moins que l’histoire de la philosophie a intégré comme donnée fondamentale le dualisme du corps et de l’esprit. Le corps étant le lieu de la déchéance où l’âme a chuté. Et sans nier le génie de Descartes, André Comte-Sponville affirme que ses contradicteurs n’ont en réalité pas saisi sa thèse au sujet de la dualité du corps et de l’esprit que Descartes a décrit en interaction étroite et non comme « un pilote dans son navire ».
La principale récusation du dualisme est mise à jour par les troubles psychosomatiques, en outre l’action de l’esprit sur le corps. Mais si l’un agit sur l’autre, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de deux entités distinctes. C’est alors un dualisme mou. Mais, en spinoziste, il pose la thèse de l’identité de l’âme et du corps.
« Le corps + l’âme = 1 »
Pour André Comte-Sponville, le « je suis mon corps » et le « je suis mon âme » est en fait la même assertion. Il va même plus loin en affirmant que « je suis spécialement mon cerveau ». Car, selon lui, « c‘est le cerveau qui pense » et c’est lui qui réalise l’unité. De son côté, Robert Maggiori préfère souligner que l’unité semble difficilement pensable, au titre que l’on peut séparer « le corps senti » (les sensations, impressions), « du corps insu » (l’électrochimie de mon corps) et « de mon corps social » (tel que je peux me le représenter). Le philosophe lui rétorque que l’unité peut être pensée par la solidarité. Cette unité fait de moi un individu au sens d’indivisible. Et, pour illustrer cela, il donne l’exemple du cul-de-jatte qui, au-delà de tout politiquement correct, n’est pas considéré comme une moitié d’humain. C’est donc le cerveau qui pense, le cerveau qui fait l’identité.
« Un peuple n’est un peuple que si les individus sont en quelque chose solidaires »
Avant de terminer son intervention, le philosophe aborde le sujet du corps politique et corps social – en d’autres mots le peuple – et fait un appel au sursaut solidaire de ce dernier. Il insiste sur le fait qu’il est urgent de le réhabiliter et, pour cela, il indique « qu’un peuple n’est un peuple que si les individus sont en quelque chose solidaires ». La notion de solidarité est à ne pas confondre avec l’amour, nous pouvons effectivement être solidaires sans aimer. La solidarité est usuellement liée à la notion de générosité, or cette dernière consiste en la prise en compte des intérêts de l’autre. La solidarité est la prise en compte d’intérêts partagés, comme le syndicalisme peut l’illustrer. La générosité est ainsi une vertu morale quand la solidarité est une vertu sociale. La solidarité est inscrite dans le moindre échange matériel. Il faut donc assurer cette convergence des intérêts qui est la condition objective à la solidarité.
(Crédit photo de Une : © Mathilde Bergon)