Festival Arabesques – focus sur la Syrie et la création en exil
Au festival Arabesques une exposition donne à voir des œuvres d’artistes syriens exilés en Europe. Après le vernissage du jeudi 20 septembre dernier, un débat donne la parole aux artistes ayant vécu la situation politique de la Syrie ces dernières années. Des échanges intéressants et durs, mais n’abordant pas assez peut-être le sujet de l’art. Au contraire de la table ronde qui a eu lieu le samedi 22 septembre dont les discussions ont porté sur l’influence de l’exil dans la création.
Une caravane syrienne au festival
Le festival Arabesques propose depuis 13 ans des rencontres avec les arts du monde arabe. Une médina (un village) est installée au Domaine d’O du 12 au 23 Septembre et l’on y savoure des ‘Délices d’Orient’, on y achète de l’artisanat palestinien, ou l’on vient écouter un des nombreux concerts. Il y a aussi des expositions d’arts, comme celle de la Caravane Culturelle Syrienne, et des débats avec des musiciens et des écrivains.
La Caravane Culturelle Syrienne est un projet politisé parcourant l’Europe, qui vise à faire découvrir la société civile syrienne et à promouvoir l’art et la culture contemporaine des artistes issus de cette région. En plus du vernissage tardif et peu fréquenté, la rencontre/débat doit attendre la fin des interviews effectuées par France 3 avant de commencer. Quand finalement les échanges débutent, l’atmosphère devient moins pesante et les spectateurs s’avèrent captivés.
Le débat s’ouvre avec le vidéaste Ala’ Hamameh. Il nous raconte que, lors de son arrivée en Allemagne, il a perçu combien les gens étaient fatigués de voir des images explicites de violence. Il a ainsi choisi l’image de la valise dans un petit film d’animation, pour parler de l’expérience des réfugiés dans leur fuite de la guerre.
a suitcase memory / ذاكرة حقيبة from Alaa Hamameh on Vimeo.
Un dessinateur retranscrit son vécu en prison
Le président du débat cite une phrase de Gilles Deleuze : « La création artistique est un acte de résistance. » Il se réfère explicitement à la star de la soirée Najah Albukaï. Ce dessinateur a été emprisonné à deux reprises par le régime de Bachar Al Assad ; Et par deux fois sa femme Abi, participante du festival, a réussi à le libérer en payant d’importantes sommes d’argent. C’est en 2014 qu’ils s’exilent en France.
La série de dessin de Albukaï montre les horreurs que subissent quotidiennement les prisonniers du régime de Assad, comme le ramassage des cadavres et la torture. « Mes dessins sont pour moi un moyen de protester contre le régime. » Yves Aubin de la Mezzuzière, diplomate et ancien ambassadeur à Damas, est également associé au festival Arabesques. Il explique combien la société syrienne est déstructurée, et à quel point il est ardu de transmettre ces messages aux dirigeants européens.
La création artistique est un acte de résistance.
Les autres artistes participants sont la jeune vidéaste Randa Maddah, la sculpteuse Nour Asalia, l’artiste confirmé Mohamad Al-Roumi. Malgré leur statut d’artiste, les questions du présentateur sont presque exclusivement politiques. Chose très intéressante pour mieux connaître la situation en Syrie, mais quelque peu décevante pour ceux qui espéraient en apprendre plus sur le milieu artistique des exilés.
Sur la création en exil
La rencontre suivante du samedi 22 septembre corrige largement l’absence de discours sur l’art. Intitulé Parcours d’artistes des diasporas arabes : l’exil à la création, on y parle des trajectoires d’artistes musiciens, écrivains, et du poids de la vie en exil sur leur travail. On retrouve le programmateur musical de l’Institut du Monde Arabe de Paris, Rabah Mezouane, Jihad Darwiche, conteur libano-français, Kamilya Jubran, chanteuse/musicienne d’origine palestinienne et Salah Al Hamdani, un poète et écrivain venant d’Iraq.
Sous le chapiteau rempli de monde, Naïma Yahi, historienne spécialisée dans l’histoire de l’immigration, anime la soirée. Elle demande aux artistes : « Comment l’exil nourrit-il votre création ? »
Kamilya Jubran répond que « ‘nous’, musiciens du Proche-Orient, sommes exilés chez nous. » Souvent leurs pays d’origine n’ont pas atteint le « degré » permettant de se sentir des citoyens respectés, libres de s’exprimer, surtout quand il s’agit des femmes. Venant en France, elle ne s’est pas sentie étrangère car c’est un pays qui aime les artistes et où elle a trouvé le plus de structures pour les accueillir.
Naïma Yahi pose donc la question : « Alors l’artiste est partout chez lui où il y a la parole et la musique ? »
Jihad Darwiche explique qu’il n’aurait jamais cru se sentir un jour chez lui ailleurs qu’au Liban. Quand il est arrivé en France en 1983 il gardait toujours l’espoir de rentrer la semaine d’après puis la semaine suivante et ainsi de suite. C’est pour combler le manque de son pays d’origine qu’il s’est mis à réciter des contes. Il bénéficia à ce moment-là du regain d’intérêt qu’il y avait pour les contes en France. Il a participé au mouvement, et la vie lui a sourit.
Des parcours de vie qui marquent
Pour Salah Al Hamdani, gagner la France était une question de survie : il lui fallait échapper à la dictature de Sadam Hussein. Issu d’une famille pauvre, il ne connaissait rien de la France. Son seul lien avec ce pays était un livre d’Albert Camus, sur lequel il était tombé dans un café à Bagdad. Arrivé à Paris, des amis tunisiens lui demandent : « Qu’est-ce que tu veux faire ici ? » Et il réplique : « Je veux tout étudier. » Alors qu’il n’avait aucun diplôme, il entre à l’université. Depuis, il n’a cessé de lire et d’écrire. Darwiche et Al Hamdani nous disent que la culture française leur a fait découvrir leur propre culture. C’est en vivant en exil qu’ils se sont intéressés de plus près à leurs origines. Par contre, Al Hamdani ajoute : « Je forme le vœux d’en finir avec la nostalgie, il est important de s’en libérer pour vivre pleinement. »
Il est important de se libérer de la nostalgie pour vivre pleinement.
Le mot de la fin est bien résumé par Rabah Mezouane. Il observe que, bien qu’il y ait de la discrimination, des problèmes de visas, la barrière de la langue, l’exil offre une autre vision très enrichissante par le biais d’une expérience difficile, mais qui leur enseigne beaucoup. À l’époque, dans les années 40 à 70, il existait à Paris un Cabaret nommé Tam Tam, acronyme pour Tunisie, Algérie, Maroc. C’est là que se sont nouées de fortes rencontres, des échanges d’un grand soutien. Sans la culture française, il n’aurait jamais rencontré des tunisiens ou des algériens, nous confie-t-il. Et un spectateur de rajouter : Sans l’exil, nous n’aurions pas tous ces chef-d’œuvres !