L’ONU, symbole d’une gouvernance mondiale à réinventer ?
Le lundi 19 décembre, le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé, à l’unanimité, l’envoi d’observateurs à Alep pour y superviser les évacuations et garantir la sécurité des civils. Malgré cette avancée encourageante, la communauté internationale paraît encore très impuissante à apporter une aide humanitaire satisfaisante aux syriens, piégés sous les bombardements de la Russie et de l’armée loyaliste de Bachar el-Assad.
Les jours passent, les cadavres se multiplient et les voix s’élèvent, mais les états occidentaux continuent à hésiter quant aux solutions envisageables dans un contexte géopolitique très délicat. À Montpellier comme dans de nombreuses autres villes en France et en Europe, des rassemblements citoyens s’organisent, à l’instar de ceux qui se sont tenus place de la Comédie les vendredis 16 et 23 décembre derniers.
#Montpellier rassemblement place de la comédie et marche vers la préfecture en solidarité avec la population civile d’#Alep #Syrie pic.twitter.com/ee6daQ7PAr
— LeNouveauMontpellier (@LeNouveauMtp) 16 décembre 2016
Le collectif « Syrie : pour un cessez-le-feu immédiat » organise depuis plus de 3 mois, des manifestations hebdomadaires en soutien à la population syrienne et encourage les montpelliérains qui le souhaitent à rejoindre leurs événements : « Nous sommes également associés à l’association Free Syria Montpellier qui organise des transports d’aides humanitaires envoyé directement en Syrie, et nous cherchons à les aider à recueillir plus de dons et de produits à envoyer sur place ».
Si l’absolue nécessité d’une intervention urgente en Syrie semble faire consensus depuis des mois, les pays tiers au conflit se révèlent effectivement incapables de se coordonner pour intervenir. Au cœur de ces tensions diplomatiques, l’ONU concentre aujourd’hui les critiques. Autrefois réellement porteuse d’espoirs, l’organisation est devenue le symbole d’un immobilisme chaque jour plus insupportable. Les pays n’hésitent plus à s’en affranchir pour parvenir à des accords internationaux, à l’image du cessez-le-feu conclu le jeudi 29 décembre entre le régime syrien, une partie de l’opposition, la Russie et la Turquie.
L’actualité tragique de ces dernières semaines offre donc l’occasion de se pencher sur le fonctionnement de cette institution, pour comprendre les causes de son impuissance et s’interroger sur son avenir :
L’ONU est-elle encore utile ?
Fondée quelques semaines après la fin de la seconde guerre mondiale, l’ONU réunie actuellement la quasi totalité des pays du monde, avec pour objectifs principaux d’assurer la paix et la sécurité, de développer les échanges entre les nations, d’encourager au respect des droits de l’homme et de mutualiser les efforts des états autour de finalités communes.
La situation syrienne fait cependant une nouvelle démonstration de ses difficultés à répondre aux crises les plus urgentes et les plus dramatiques. L’ONU se compose de six organes principaux, dont les plus importants sont l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité. C’est ce dernier, dont les cinq membres permanents sont les États-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne, la France et la Chine, qui est censé s’occuper des questions de paix et de sécurité dans le monde.
L’ONU, du « droit d’ingérence » au « devoir de protéger »
En vertu de sa charte fondatrice, l’ONU n’a pas été fondée pour intervenir directement dans les affaires relevant de la souveraineté des États. Mais à l’occasion de la terrible famine ayant ravagé le Nigeria en 1968, est apparue l’idée d’ingérence humanitaire : en cas de violation massive des droits de l’homme, l’ONU s’autorise à interférer avec la compétence nationale d’un État défaillant, pour pallier à une situation urgente.
Malgré une légitimité morale indéniable, l’ingérence humanitaire n’est pas sans poser de problèmes, à la fois sur le plan juridique et sur le plan politique. Une telle intervention contrevient en effet à deux principes fondamentaux du droit international public : le respect de la souveraineté des États et le principe de non‐ingérence. Pour tenter de contourner ces difficultés, le concept de « responsabilité de protéger » est apparu en 2002. Dans l’hypothèse où une nation faillirait à protéger sa population, la communauté internationale serait en devoir d’agir, en dernier recours, pour prévenir les génocides, les crimes de guerre, la purification ethnique.
Mais aussi moralement justifiée qu’elle puisse l’être, une intervention de l’ONU se voit aujourd’hui conditionnée par un véritable numéro d’équilibrisme diplomatique : acceptation ou soumission tacite de l’État dans lequel les opérations militaires ont lieu d’une part, courage et consensus politique des États-membres du Conseil de sécurité d’autre part, ces conditions sont difficiles à réunir pour adopter une résolution de l’ONU.
L’ONU, incapable de s’affranchir des États
Alors que la question d’une gouvernance mondiale se pose de plus en plus fréquemment, l’ONU – seule organisation universelle à ce jour – se révèle impuissante à acquérir une autonomie d’action, et reste soumise aux volontés bien souvent partisanes des États qui la composent. En effet, pour que les Nations unies puissent intervenir et secourir des civils dans le besoin, encore faut-il que les pays décisionnaires mettent de coté leurs intérêts nationaux, leurs alliances.
La crise syrienne est une illustration supplémentaire de la paralysie du Conseil de sécurité suite à l’exercice de son droit de veto par un pays, en l’occurrence la Russie. En cas d’opposition de l’un de ses membres permanent, l’ONU est totalement démunie, et doit se contenter de condamnations morales bien insuffisantes.
Un processus décisionnel à repenser ?
De nombreux pays, dont la France, souhaiteraient réformer le privilège du droit de veto, accordé aux seuls cinq pays vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, notamment dans les cas où des crimes de masse sont en cours. Cependant les États-Unis, la Chine, et la Russie y sont pour l’instant opposés. À propos de la question syrienne, la Russie a déjà mis son veto à six reprises sur des résolutions demandant l’arrêt des bombardements. Cet immobilisme relance la question d’une réforme de ce droit, qui est un facteur de blocage et de paralysie de l’action de l’ONU.
Le collectif montpelliérain « Syrie : pour un cessez-le-feu immédiat » juge lui aussi l’encadrement du droit de veto indispensable, et estime qu’il ne devrait être utilisable que si l’État en question n’est pas directement impliqué. Il dresse également le constat d’un véritable manque d’information du public à propos de ces questions : « La population que nous rencontrons sur la comédie n’attend pas de solution des grands organismes mondiaux et est rarement au courant du fonctionnement de l’ONU. »
De plus, les propositions de réformes de l’ONU devraient davantage prendre en considération les pays du Sud, et des États comme l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, le Japon, et l’Allemagne devraient pouvoir accéder au statut de membre permanent au conseil de sécurité. Enfin, l’Assemblée générale – dont le fonctionnement est plus démocratique que celui du Conseil de Sécurité car chaque État y dispose d’une voix – devrait voir ses pouvoirs renforcés, et ne pas être limitée comme actuellement à une chambre consultative. Ces propositions de réformes ne sont absolument pas nouvelles, mais jusqu’à présent aucun consensus mondial n’a permis de les mener à bien.
Si la crise syrienne et son intense médiatisation ont relancé le débat sur la nécessité de réformer l’institution, ils ont aussi mis en lumière l’impuissance de l’ONU à s’imposer en tant qu’acteur international central. Les Nations Unies sont totalement étrangères au cessez-le-feu convenu entre la Russie, la Turquie, l’armée syrienne et l’opposition au régime de Bachar el-Assad, pour l’heure globalement respecté en Syrie depuis le 29 décembre. L’ONU semble aujourd’hui progressivement s’effacer devant les jeux d’alliances conclues entre États, dont l’efficacité mais également la dangerosité n’est plus à démontrer.