Tombé du ciel : un film libanais sur les fantômes de la guerre civile
Dans son film Tombé du Ciel, présenté à Cinemed la semaine dernière, le réalisateur libanais Wissam Charaf utilise l’humour pour inviter la société libanaise à un travail de mémoire.
Le film Tombé du Ciel de Wissam Charaf peint un portrait humoristique de la société libanaise. Avec des gestes et des discours minimalistes, il suscite notre rire tout en laissant ressurgir le thème de la perte et des traumatismes de l’après guerre civile. Tout au long de son premier long-métrage, ses personnages se confrontent à des fantômes du passé.
La projection a eu lieu durant le 40ème festival du film méditerrannéen, Cinemed, qui mettait cette année l’accent sur la production cinématographique libanaise. 16 films de réalisateurs locaux ont été montrés. Wissam Charaf était parmi ceux présents au festival.
J’ai attendu 10 ans pour trouver des financements, puis on a eu deux semaines pour le tournage.
« Réaliser ce film m’a bien fait suer ! », nous dit le réalisateur lors de la présentation du film. « J’ai attendu 10 ans pour trouver des financements, puis on a eu deux semaines pour le tournage. À la libanaise. »
Un film jouant sur plusieurs niveaux
Le film parle de Omar, garde du corps à Beyrouth. Il lit des livres pour être un bon combattant, et rêve d’être un héros avec un pistolet. Sa routine est bousculée par l’arrivée inattendue de son frère aîné, Samir, un ancien milicien supposé mort depuis une dizaine d’années. Omar doit jongler entre son travail – protéger une jeune chanteuse punk qui commence sa carrière politique – et le retour de son frère. Le film joue sur deux tonalités : l’une drôle et burlesque, l’autre triste qui évoque le désarroi des personnages et les traumas irrésolus.
Une scène emblématique est celle où le frère, Samir, hurle en se réveillant après un cauchemar. Alerté, Omar déboule dans la chambre pistolet au poing et le père, atteint de la maladie d’Alzheimer crie en arrière-fond : « On les a tous attaqué et coupé en morceaux. » Aucun éclaircissement n’est donné sur le vécu du frère durant sa période de combat au sein de la milice. Cependant, on ressent bien à quel point ces guerres ont marqué Omar, Samir et leur père, peu importe s’ils sont partis combattre ou non.
Une vision rafraîchissante
Lors de la sortie au Liban, le public libanais a accueilli favorablement le film de Wissam Charaf. Son approche de la guerre civile est perçue comme un « brin de fraîcheur ».
Je crois que l’humour et le rire sont la meilleure façon de sortir des traumatismes.
« Généralement, il y a uniquement des films tristes sur ce thème », explique le réalisateur, « Mais tout n’était pas triste à cette époque. Les gens vivaient leur vie ! Je crois que l’humour et le rire sont la meilleure façon de sortir des traumatismes ». Il ajoute: « Au Liban, on ne fait pas de travail sur le devoir de mémoire. Pas comme en Allemagne. Cela crée des gens décalés par rapport à la réalité. »
Au fur et à mesure que le film se déroule, une dimension mystique transparaît, laissant le spectateur dans l’impossibilité de décider si ce qu’il voit est un rêve ou la réalité. La scène d’ouverture est presque annonciatrice de ce déplacement : Samir émerge lentement d’un paysage vide, vaste et enneigé, pour se retrouver plus tard sur le canapé de Omar. Puis vient la question de Omar au petit déjeuner : « Je suis peut-être en train de vivre une expérience surnaturelle ? »
Wissam Charaf utilise des couleurs plus intenses et un plan de film carré (et non rectangulaire), pour mettre en avant la profondeur de l’image, comme pour creuser les mémoires enfouies d’un Liban nostalgique ou fantasmé.
Un style libanais atypique ?
Wissam Charaf a vécu 12 ans à Paris avant de retourner à Beyrouth. Ceci a influencé son style dont il dit qu’il n’est pas typique de producteurs locaux. L’inspiration pour ses personnages lui vient d’un ami. Son physique particulier fait qu’il a voulu l’utiliser pour briser les clichés de l’homme arabe idéal au physique long, fin, charmeur à la chevelure noire. Omar lui est volumineux, chauve, au visage rond avec des yeux d’enfant. Des yeux paraissant observer une société qu’il comprend de moins en moins.
C’est un film avec une touche du metteur en scène finlandais Aki Kaurismäki (Le Havre, 2010) et un humour rappelant Elia Suleiman, réalisateur palestinien (The Time That Remains, 2009). Concernant Elia Suleiman Wissam Charaf nous dit : « L’histoire façonne les gens. Venant d’une même région, nécessairement tu développes des similitudes. »
Diverses inspirations qui ont fait de Tombé du Ciel un regard surprenant et joliment sarcastique du Liban.