Humans Of Montpellier n°75
Je m’appelle Marcel Camill’, j’ai 34 ans, je viens de Congo Brazzaville. Je suis arrivé en septembre 2004 à Montpellier dans le but de poursuivre mes études en micro-biologie à la fac des sciences. Chemin faisant, il y a beaucoup de choses qui se sont passées, beaucoup de réflexions et de difficultés jusqu’à ce que finalement je revienne à ma première passion qu’est l’écriture. Je suis poète. J’écris aussi des nouvelles. Je fais également des rencontres scéniques entre lectures musicales et slam, notamment à la librairie Tapuscrits.
Mon pseudonyme « Camill’ » est une référence à mon arrière grand–oncle qui s’appelait Camille. Il avait de grandes difficultés d’élocution et mon père me disait que j’avais hérité du même problème. Enfant, j’étais loin d’avoir une aisance oratoire et je rencontre, encore aujourd’hui, certaines difficultés d’expression à certains moments. Il m’a fallu faire un énorme travail sur moi-même pour maîtriser la grande timidité que j’avais. Depuis quelques années, ce travail commence à porter ces fruits, c’est peut-être cela qui m’a permis d’arriver à l’écriture et de faire de la scène maintenant. La pratique du théâtre aux AVF de Montpellier pendant une année m’a également beaucoup libéré au niveau de l’expression.
A Montpellier, j’ai cette impression de bouffée d’oxygène
Devenir auteur s’est fait au fil d’un long labyrinthe que j’ai dû emprunter en tombant parfois sur des impasses. J’étais arrivé à ma 3ème année de licence, que j’ai effectuée plusieurs fois, avec une orientation dirigée vers l’écologie microbienne. J’ai abandonné en voyant comment j’abordais mes études car je les appréhendais non pas comme un vrai scientifique, mais plutôt dans une approche plus philosophique. De plus, mon père avait fait un AVC et il était tombé dans le coma durant la période d’examens. C’était un moment compliqué et je ne me suis tout simplement pas présenté aux examens.
Par ce fait, je n’ai pas renouvelé mon titre de séjour et j’ai commencé à faire des petits boulots comme nounou, jardinier, soutien scolaire ou des ménages chez les particuliers. En allant par hasard, via un remplacement, faire le ménage chez une personne âgée qui était écrivain, je lui ai présenté ce que j’écrivais depuis tout petit. En lui montrant mes écrits, il m’a dit « Mais lance toi ! Tu es écrivain ». C’est ainsi que je me suis petit à petit remis à l’écriture jusqu’à publier mon premier livre en 2014 qui s’appelle « De l’encre sous les gravats ». Derrière ce titre, le livre représentait cette idée de reconstruction personnelle.
Commencer sa carrière d’écrivain par la poésie est un énorme challenge. Ça reste un genre très difficile. J’ai remarqué qu’il y avait une autre culture, un autre regard sur la poésie en France qui a évolué en fonction des siècles. Cette évolution-là n’est pas la même en Afrique. En tout cas dans mon pays d’origine, la poésie est vraiment dans le quotidien. C’est le pays des griots où le verbe est à l’honneur. Au Congo, dans son folklore, il y a l’équivalent du griot qu’on appelle le « Nzonzi ». C’est celui qui est là pour parlementer, pour parler au nom des autres en tant que rapporteur ou médiateur. La plupart des conflits se résolvait d’abord par le dialogue, par le biais de la culture de la parole et du verbe.
Ce que j’ai apprécié en arrivant ici, en France en général et particulièrement à Montpellier, c’est la liberté. A Montpellier, j’ai cette impression de bouffée d’oxygène. Il y a beaucoup d’énergie qui circule, c’est une ville de rencontre et de croisement entre différentes populations. Ça été la première chose qui m’a frappé en arrivant ici, j’ai été confronté à différentes nationalités à la fac avec des gens venant de tous les horizons. C’est ce qui me fait apprécier cette ville.
Il faut dire qu’au Congo il n’y a pas vraiment de liberté. C’est un pays par plein des aspects qui est vraiment magnifique. Mais qui économiquement, politiquement, vit une situation infernale. Avant de venir à Montpellier, j’ai vécu trois guerres civiles en 1993, 1997 et 1998. Je suis parti de ce pays qui était dans une situation chaotique et ça ne s’est pas amélioré depuis.
Quand j’ai fait mes vœux post-bac, c’était une évidence de mettre Montpellier en premier choix par rapport au passé et à l’histoire de mon père. Il est venu à Montpellier dans les années 50 pour faire ses études de médecine. Il a eu ses premiers enfants, mon frère et ma sœur, ici à Montpellier. Je n’avais pas encore visité la ville dans laquelle il m’avait raconté toute sa vie et son vécu. Donc j’avais déjà un certain attachement pour Montpellier bien avant mon arrivée.
Marcel Camill’ : Je pense que Montpellier va encore changer et à mon avis c’est ce qu’il faut lui souhaiter
Mon frère aîné continue de vivre ici, il est technicien de recherche, ma sœur est partie depuis quelques années en Ile-de-France. C’est amusant parce que c’est ici que j’ai pu les connaître réellement. Lorsque je suis né à Brazzaville, mon frère aîné poursuivait ses études en France et ma sœur terminait son lycée pour aller rejoindre mon frère à Montpellier dans la continuité de ses études.
Venir ici me permettait de connaître une part de la vie de mon père telle qu’il me l’avait décrite. Finalement en arrivant à Montpellier, j’ai découvert autre chose car la ville avait complètement changé par rapport à ce qu’il m’avait décrit. D’ailleurs, elle ne cesse de changer car en à peine 5 ans, il y a eu des choses qui ont complètement chamboulé des secteurs de la ville, comme le quartier Port-Marianne ou Triolet. C’est une ville qui arrive à se transformer en permanence tout en gardant son âme. Elle a un côté ville ancienne et en même temps un côté moderne qui s’allient et se mélangent très bien.
A Montpellier, j’aime le centre-ville avec son côté circulaire et en même temps cette liberté de circulation qui peut y avoir avec la présence des transports en commun. J’ai tout de même une préférence pour les lieux aérés et les grands espaces comme le Peyrou. J’aime aussi les petits salons de thé tels que la Mezzanine, ces petits commerces indépendants qui essayent de travailler « à l’ancienne » en gardant cet esprit authentique dans leur rapport humain.
Il y a aussi les petites librairies sympas que j’apprécie ici comme la librairie Scrupule en plein quartier Figuerolles. Ce qui est super à Montpellier, c’est qu’on retrouve des quartiers populaires qui sont très vivants et qui regorgent de richesses artistiques. Ça c’est la grande découverte que j’ai faite en quittant la fac comme j’avais plus de temps libre pour m’investir en dehors des Bibliothèques Universitaires ! Cela m’a permis de voir des choses que je ne pouvais pas voir auparavant en allant par exemple à Figuerolles, aux Beaux-Arts. Là-bas, c’est juste énorme à quel point ça foisonne en talent.
Cependant, le fait que cela soit une ville en perpétuel changement peut-être aussi une difficulté dans certains aspects. Ça bouge beaucoup, les visages arrivent et s’en vont aussi vite. J’ai beaucoup d’amis que j’ai connus ici lors de ma première année que je ne vois plus. Ils sont tous partis dans d’autres villes pour poursuivre leurs études ou pour travailler. Montpellier reste malheureusement une ville de passage au sein d’une région où il n’y a pas de grande activité économique. C’est plus une ville de tourisme qu’une ville axée sur l’industrie et l’artisanat. S’il y a un autre défaut du quotidien à souligner ici, c’est le réseau de pistes cyclables qui est trop haché !
Je pense que Montpellier va encore changer et à mon avis c’est ce qu’il faut lui souhaiter, qu’elle continue de bouger comme elle est. Elle a fonctionné et je pense qu’elle s’est construite ainsi. Elle vit aussi grâce à tous ces changements. D’une certaine façon, je pense qu’elle est destinée à évoluer de la sorte. C’est une ville de contradiction mais la cohérence qu’elle a, c’est qu’il y a un côté circulaire dans tout cela. Tout est fait pour que les choses ne stagnent pas.