Visa pour l’image : des reportages renversants

Expo Visa pour l’image. Un membre des Forces démocratiques syriennes observe une position tenue par des combattants de Daesh. Raqqa, Syrie, 12 juin 2017. Photographie d’Alice Martins. © Alice Fiedler
Pour la 30ème fois a lieu le festival international du photojournalisme Visa pour l’image du 1er au 16 Septembre à Perpignan. Plus d’une vingtaine de photographes exposent leurs reportages sur les guerres, conflits sociaux, environnementaux ou économiques actuels dans le monde. Le but du festival est de permettre de découvrir des talents et de soutenir le travail de photojournalisme. L’entrée aux expositions est gratuite pour tous.
Montrer ce que l’on ne voit pas
Jean-Paul Griolet, président de l’Association Visa pour l’image, déclare dans son mot d’introduction : « Vous les photojournalistes qui éveillez notre conscience, et sillonnez le monde pour nous aider dans notre recherche de vérité. »
Cela ne pourrait être plus juste pour la reporter Véronique de Viguerie et sa série de photos Yémen : la guerre qu’on nous cache. Après un an d’efforts, elle a réussi à entrer au Yémen pour y documenter les ravages causés par les tensions entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. Des tensions qui ont déclenché une guerre dont l’on peut avec raison se demander pourquoi nous en entendons si peu parler en France. C’est elle qui remporte cette année le prestigieux prix du Visa d’or News – la première femme depuis vingt ans a gagner ce titre.

Sanaa, Yémen. Fabrication de prothèses. Depuis le début du conflit, plus de 6000 Yéménites ont étés amputés. © Véronique de Viguerie / The Verbatim Agency
Les femmes photojournalistes
En général, le festival de cette année impressionne par le nombre de femmes photojournalistes sur le terrain, comme Alice Martins qui a fait des allers-retours en Syrie et nous montre aujourd’hui sa série d’images intitulée Bienvenue dans Raqqa libérée.
Ou Catalina Martin-Chico qui s’est rendue dès 2017 auprès de la guérilla FARC en Colombie. Elle suit le début d’une nouvelle existence pour les femmes combattantes qui désormais, après avoir rendu les armes en 2016, ont le droit de donner la vie. Cette nouvelle liberté a déclenché un baby-boom dans la jungle ! Sa série photo est nommée Colombie : (Re)Naître.
Les divers sujets de Visa pour l’image
Hormis la guerre, il y a aussi d’autres sujets très contemporains qui sont abordés. Un exemple est la pollution de la planète qui se manifeste de manière discrète, insoupçonnée, dans les belles images de Samuel Bollendorff intitulées Contaminations, ou les horreurs de la production alimentaire chez George Steinmetz Big Food.
Il est de même intéressant de voir les différentes façons de couvrir la crise des Rohingyas, la minorité musulmane en Birmanie qui fuit les massacres causés par le gouvernement et l’armée. Depuis 2017, des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants cherchent refuge au Bangladesh. Lundi 3 septembre, deux journalistes birmans de Reuters ont été condamnés à 7 ans de prison pour avoir “porté atteinte au secret D’État” alors qu’ils enquêtaient sur ce conflit.
Kevin Frayer a suivi leur chemin vers le Bangladesh. Ses photos sont en noir et blanc, un effet qui renforce encore le drame de cette traversée et nous rappelle la notion de clair-obscur qu’on trouve dans la peinture de Rembrandt. Il a réussi à captiver les regards qui nous transpercent d’une intensité effrayante. On sent le désespoir, la terreur et surtout le vide qui remplit ces gens.
Paula Bronstein a choisi au contraire un rendu couleur ce qui donne un effet plus neutre et plus documentaire aux images, même si le contenu reste terrible. Ses photos sont prises au Bangladesh, le lieu d’arrivée des Rohingyas.

Du reportage “Apatrides, abandonnés et rejetés : la crise des Rohingyas” de la photojournaliste Paula Bronstein. © Site personnel de Paula Bronstein
Contrairement à Kevin Frayer, dont souvent les perspectives sont extérieur ou supérieur aux réfugiés, Paula Bronstein semble faire partie de la foule qu’elle photographie. Dans une photo prise de réfugiés accroupis sous la pluie, on voit qu’elle s’est mise à leur hauteur pour prendre la photo.
Le conflit de la représentation d’images
La problématique de l’image et de sa perception, auxquelles les photos nous renvoient, n’est pas nouvelle. Pour en discuter, des conférences étaient organisées en parallèle à l’exposition du 3 au 5 septembre. On y a posé la question : Comment représenter un conflit en images ?
Une image montre toujours l’idéologie qu’une société se fait.
Martin Galinier, qui préside les conférences, ouvre le débat en déclarant : « Une image montre toujours l’idéologie qu’une société se fait. Il est important de se questionner : Quel est le regard de celui qui fait l’image et quelle est la réception de l’image ?” Il demande à changer de perspective, et à poser des questions sur la production d’images.
Pour la première table ronde sont invités le plasticien Émeric Lhuisset, qui mêle art et géopolitique avec des œuvres inscrites dans un terrain de conflit, le théoricien en esthétique Sébastien Galland et le doctorant Antoine Rocipon, qui travaille sur l’image de la guerre dans le cinéma de Clint Eastwood.
Les trois approches se rejoignent en affirmant qu’au fond, on ne peut jamais montrer l’entièreté d’un conflit. Il y a toujours des éléments qui sont faussés ou restent invisibles, par le simple fait que chaque photo nécessairement prend un angle de vue. Selon Sébastien Galland, l’image montre qu’on ne peut pas montrer. La seule chose qu’on puisse tenir pour sûr est que la guerre est irreprésentable. C’est le conflit interne du photojournaliste.
Alors la question se pose – pourquoi photographier ? À quoi cela sert si de toutes façons il est impossible de toucher le réel ? Le théoricien en esthétique répond : « L’impossible n’est pas l’impuissance. C’est plutôt la condition pour la recherche, la créativité, essayer d’élaborer des modalités pour s’approcher du réel. »
Le métier du photojournaliste
Le travail de photojournaliste n’est pas facile. Cela se rapproche beaucoup de la situation de l’artiste. Il s’agit bien plus d’un choix de vie que d’un métier qui permet de vivre. Le directeur du festival, Jean-François Leroy le précise dans l’interview avec Claire Guillot pour Le Monde, quand il parle d’une « paupérisation du métier ». La précarité est devenue normale.
Dans l’interview il dit : « Il y a trente ans, les trois plus importantes agences couvraient 50 % des frais des photographes et leur versaient 50 % des ventes. Aujourd’hui, les agences ne versent que 40 % des produits et ne paient pas de frais. »
C’est sans doute là l’une des raisons pour lesquelles les photojournalistes se tournent de plus en plus vers d’autres plates-formes de production et de diffusion, comme les livres et les expositions. Cela n’augmente pas leur salaire, mais les récompenses données à ces occasions, par exemple les 150 000 Euros distribués à Visa pour l’image en guise de prix, permettront peut-être de payer le prochain voyage…